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« Un médecin juif pendant la seconde guerre mondiale » par Colette Avrane

L’histoire qui est arrivée à mon père est ancienne mais si je ne la raconte pas maintenant, personne ne s’en souviendra.

Sa vie aurait été presque normale s’il n’avait pas contracté la polio lors de la terrible épidémie de 1914. Les enfants étaient plâtrés, ce qui les faisait boiter à vie. Un instituteur a remarqué mon père qui réussit ainsi à passer le bac, puis obtint son diplôme de médecin, signé par Jean Zay, ministre de l’Instruction Publique du Front Populaire en 1936.

Il devint médecin de campagne dans un petit village du Nord passé sous le gouvernement militaire allemand en 1940. Le jeune médecin n’a rien de plus pressé que de s’inscrire sur la liste des juifs alors qu’il était le seul dans le village.

Dès le 16 août 1940, le régime de Vichy se dépêche d’interdire les professions médicales aux juifs. Cette loi expédiée en moins d’un mois, empoisonne la vie de mes parents pendant toute la guerre. Mon grand père n’a été naturalisé qu’en 1924 ; trop tard pour mon père, pourtant né en 1910 en France, qui était donc interdit d’exercice selon la nouvelle loi réservant l’exercice de la médecine aux Français de souche.

L’ordre des médecins est créé le 7 octobre mais Le Secrétariat Général de la Famille et de la Santé (le Ministère de l’Intérieur de Vichy) bombardent les préfets de circulaires précisant les conditions de l’exercice de la médecine et établissent au plus vite le recensement des praticiens qui ne remplissent pas les conditions. Les préfets sont contraints d’appliquer la loi immédiatement. Mon père croit alors avoir le droit pour lui car né en France, marié à une Française (ma mère est alsacienne depuis des générations) et père d’un enfant français.

Le 26 septembre 1940, le docteur reçoit un récépissé qui lui permet de continuer sa profession jusqu’à ce que décision définitive ait été prise. Pendant cinq mois, il croit qu’il répond aux conditions requises.

Par contre, il est infirme et ne peut être mobilisé. Le 2 avril, 1941, un courrier terrible signé par le préfet du Nord et par le Ministre de la Santé Serge Huard l’informe du rejet de ses demandes de dérogation à la loi, et lui ordonne de « cesser immédiatement l’exercice de [sa] profession ». Malgré une pétition des habitants de son village et les encouragements de quelques confrères, il cesse son métier. « Huard a été certainement apitoyé par le cas en question comme par d’autres. Mais le texte de la loi parait difficile à violenter, surtout après avis de la commission et un arrêté antérieur » écrit le professeur agrégé Faivre.

Mon père écrit de nombreux courriers. Le président de l’Ordre des Médecins lui signifie le refus de sa demande de dérogation par le Conseil de l’Ordre des Médecins du département du Nord. Le dossier est transmis au Ministre, qui ordonne aux préfets de rejeter les demandes de dérogations et d’interdire par lettres recommandées individuelles l’exercice de leur profession.

Il est contraint de brader son cabinet à un médecin autorisé et persévère sans succès dans la recherche de diverses solutions pour pouvoir nourrir sa famille, y compris en postulant en tant qu’infirmier dans une clinique ou technicien dans un laboratoire.

On lui propose de postuler pour l’Afrique orientale, mais en vain, étant Juif. Il ne peut non plus être candidat à la Relève des médecins prisonniers. Son courrier à Pétain reste sans réponse. Enfin, demande l’autorisation de s’expatrier aux USA mais en novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord et aucun passeport n’est plus délivré.

Alors mes parents obtiennent un laisser passer pour Paris, puis se réfugient à Châteauroux où ils restent jusqu’à la Libération. L’hôpital de Châteauroux donne du travail à de nombreux médecins juifs pendant quelques semaines, puis ils licencient tout le personnel et ne gardent que les non Juifs.

Mon père trouve alors un travail dans une compagnie d’assurance spécialisée dans la médecine. Avec ma mère et ma tante, Ils font pousser des légumes dans un petit jardin dans cette période de ravitaillement difficile, d’autant plus qu’ils s’occupent de leurs parents et beaux parents qui n’ont pas de carte de rationnement.

En 1944, il retourne dans son village avec un certificat de qualité de combattant FFI lui ayant été décerné par le président de la commission d’incorporation des FFI de Châteauroux.

Les habitants de son village l’accueillent avec joie et lui rendent ses affaires et sa traction avant Citroën qu’ils avaient cachée entre des plaques de marbres pendant toute la guerre. La maison a été réparée et le cabinet a fonctionné pendant dix ans avant que mon père décide de s’installer à Paris.

Mes parents ne parlaient jamais de la guerre. Leurs amis n’en parlaient guère non plus. Certains avaient même changé de nom. Ma mère et ma tante ont gardé des dizaines de documents que nous avons retrouvé, mon frère et moi, après leur décès. Nous ne sommes pas religieux et nos parents ne l’étaient pas. Mais ce n’est jamais simple d’être Juif et d’être comme par beaucoup de monde. Notre cousin Jean Jacques ayant été élu président du Conseil de l’Ordre des Médecins de Paris, nous nous sommes rappelé que notre père avait été persécuté à cause de sa judéïté. Ayant pris connaissance de toutes les lettres et documents conservés, et jamais lus auparavant, je suis fière de ce père qui ne parlait guère de lui et qui n’a cessé de lutter pour le droit d’exercer ce métier qu’il adorait.

Colette Avrane, historienne