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VIE INTRA-UTÉRINE DANS LE JUDAÏSME

Extrait du nouvel ouvrage du Dr Gilles Uzzan : Philosophie Juive

La haftarah (texte issu des livres des prophètes) lue avec la paracha de Nasso évoque la naissance de Chimchone (Samson en français). Celui-ci avait pour père Manoa’h de la tribu de Dan. La mère de Chimchon se nommait Tslalfonit, issue de la tribu de Yehouda. Le couple n’avait pas d’enfant.

Un jour, Tslalfonit rencontre un ange qui lui annonce la naissance d’un garçon. Ce garçon c’est Chimchone qui aura pour mission de libérer les Juifs de la domination des Philistins.
Mais HACHEM posa une condition avec Tslalfonit : que le futur nouveau-né soit Nazir dès sa conception.
Un Nazir, dans la Torah, est une personne qui fait le vœu de s’abstenir de vin, ne pas se couper les cheveux, ne pas être en contact avec un mort et ne pas manger d’aliment impur.
Il fallait effectivement que Tslalfonit soit sujette aux lois du Nazir pendant toute sa grossesse, parce qu’on sait très bien que la nourriture ingérée par une femme enceinte est transmise au fœtus.
Par exemple, la consommation d’alcool chez une femme enceinte peut entraîner un syndrome d’alcoolisation fœtale. À travers l’histoire de Chimchone, la Torah nous apprend que l’alimentation d’une femme enceinte agit sur le fœtus.

Il a également été prouvé que l’état mental d’une femme enceinte influence son enfant. La pureté, la maîtrise de soi, l’état d’esprit d’une future mère influe sur le bébé à naître. Et lorsque la mère de Chimchone atteignit un degré supérieur de kedoucha (Sainteté) durant sa grossesse, le niveau de son fils en fut de la sorte élevé et Chimchone est devenu ce qu’il devait devenir, un libérateur, un juge en Israël. Il fut Nazir toute sa vie.

En fait, le niveau de dévouement des enfants pour le judaïsme et pour la morale en général est influencé directement par celui des parents. En travaillant sur eux-mêmes, les parents agissent sur leurs enfants.
On raconte que Elisha ben Abouya, qui était pourtant le maître de Rabbi Meir, est devenu athée à cause justement des pensées négatives de son père. Son père voulait que son fils soit rabbin. Mais pas rabbin pour être rabbin, rabbin pour les honneurs. Sa pensée négative qu’il a transmise indirectement, inconsciemment à son fils, a fini par prendre le dessus et Elisha ben Abouya, un jour, est devenu complètement athée.

Tout cela rejoint aussi deux opinions. Celle de Freud d’abord, qui a découvert l’inconscient et la psychanalyse. Il affirme que c’est à partir de la vie intra-utérine que le Moi, la personnalité de l’être, se structure. Et nous avons aussi Donald Winnicott, un pédiatre psychanalyste du XXe siècle qui a expliqué qu’il fallait absolument éviter les carences affectives et physiques pour un enfant, pour un bébé, car si le bébé n’était pas contenu par une certaine affectivité, ni par l’amour que ses parents peuvent lui apporter, ce bébé pouvait développer une perception morcelée de lui-même, génératrice d’angoisse et de souffrance psychique.

Toutes ces théories de la vie intra-utérine que nous rapportent ces deux médecins, Freud d’un côté et Winnicott de l’autre, sont déjà connues de la Torah avec l’histoire de Chimchone qui nous apprend non seulement l’influence de l’alimentation (l’aspect matériel) sur l’enfant, mais aussi de l’esprit (la facette spirituelle) de la mère et des parents en général pendant la vie intra-utérine. Encore une fois, la Torah est en avance sur son temps.
Et c’est là un aspect particulier au judaïsme : le rôle et l’influence de la pensée volontaire dans nos actes (Kavana). Une remarque : même s’il y a décalage parfois entre les moments de l’union et de la fécondation, la tradition réunit ces deux moments dans le même instant spirituel.

Quelques passages du Talmud nous éclairent sur la façon dont les Sages percevaient la vie fœtale in-utéro. Par exemple : « Il n’est point de séjour plus heureux pour l’homme  (que sa vie intra-utérine)(Nida, 30b). Et on lui enseigne toute la Torah. Et, dès que l’enfant vient au monde, un ange s’approche, le frappe sur la bouche, et lui fait oublier la Torah. »
Ce texte fut écrit il y a plus de 2000 ans. Il est proche d’un texte (écrit en 1984) du Professeur Lejeune (1926-1994), co-auteur de la découverte de l’anomalie chromosomique responsable de la trisomie 21 : « L’embryon est une personne affirmée et autonome. Il est si bien une personne douée d’une autonomie que lorsque le placenta laisse passer dans les vaisseaux sanguins maternels les substances du déchet d’origine fœtale, la mère est empoisonnée. Le fœtus se comporte comme un être qui n’est pas une partie intégrante de la mère ».

On raconte dans la Torah : Lorsque Rebbeca passait devant les portes des lieux d’étude de Shém et ‘Ebèr, l’un des enfants s’agitait (Jacob), lorsqu’elle passait devant les entrées des lieux d’idolâtrie, l’autre s’agitait (Ésaü). (Rachi sur Genèse, 25,22). Comme il est écrit dans le Keli Yakar, livre de Rav Chlomo Ephraïm Luntschitz (1550-1619), Rebecca, ne sachant pas qu’elle avait des jumeaux, pensait que l’enfant unique qui était en elle s’agitait aussi bien devant les lieux d’étude que d’idolâtrie.
C’est ce conflit qui l’inquiétait ; elle savait que dès le début de la grossesse, la nature de l’enfant pouvait se manifester. Bien que le père de son enfant fût un Sage, elle appréhendait le fait d’être, elle, fille d’impie (Betouel). Puis elle apprit la présence de jumeaux.

Tout ce développement nous révèle déjà un point fondamental : la future personnalité de l’enfant se dessine déjà dès son état fœtal. Cela confirmerait les travaux plus récents tendant à montrer que l’étude des premiers gestes de l’enfant dans sa vie intra-utérine permettrait de déterminer sa personnalité. Encore faudrait-il pouvoir interpréter ces gestes, ces attitudes. C’est encore un pouvoir qu’avaient les Sages du Talmud et que nous avons malheureusement perdu.

Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue
Expert judicaire