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LA VALEUR DU TRAVAIL DANS LE JUDAÏSME

À partir du Chabbat qui suit Pessa’h et jusqu’à Chabbat qui précède Chavouot, on lit après le Moussaf ou à l’heure de Min’ha, un des chapitres du Maxime des Pères (Pirké Avoth).

À cette occasion, nous rapportons ici combien nos Sages ont insisté à travers les textes des Pirké Avoth, sur la valeur du travail.

Chémayah disait : « Aime le travail, dédaigne l’exercice rabbinique, et ne te lie pas au gouvernement. » (Maximes des Pères 1,10).

Chémayah nous exhorte d’avoir une activité professionnelle pour gagner sa vie. Pour lui, être rabbin n’est pas un métier. De même, être membre du gouvernement et faire de la politique son métier n’est pas considéré comme une profession digne de ce nom. Car, comme le dit Hillel : « Celui qui veut acquérir une trop grande célébrité (en voulant devenir membre du gouvernement) perd même la réputation dont il jouit déjà… Celui qui se sert de la couronne de la Loi (la Torah) dans une vue intéressée (pour seul but de devenir rabbin) périra. » (Ibid 1, 13).

Dans le même sens, Rabbi Tzadok disait : « Ne fais pas de la Torah une couronne pour t’enorgueillir ni un instrument de travail… » (Ibid 4,7).

L’étude de la Torah doit se faire LECHEM CHAMAÏM, pour HACHEM, de manière désintéressée et non pour gagner notre vie. Autrement dit, étudier pour pratiquer.

Et cette étude n’exclut pas de travailler. Comme le dit Rabban Gamliel, fils de Rabbi Yéhouda Hanassi : « … Toute Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est stérile et conduit au péché. » (Ibid 2,2). Car, aux yeux de Rabban Gamliel, c’est déshonorer la Torah que d’en faire un métier, ou d’en vouloir tirer avantage. De même, Rabban Gamliel disait au sujet du gouvernement : « Soyez circonspects dans vos relations avec les grands, car ils ne se rendent accessibles que lorsque leur intérêt le leur commande. Ils se disent vos amis quand ils ont besoin de vous ; mais ils vous refusent leur appui si vous êtes dans l’embarras. » (Ibid 2,3). Il nous incite donc à la prudence quant à une nomination éventuelle de la part de l’État.

Toutefois, même notre profession ne doit pas nous absorber du temps au point de ne plus étudier la Torah. Comme le disait Hillel : « … Celui qui se laisse trop absorber par le commerce (le travail) n’acquiert pas la sagesse… » (Ibid 2,6). Rabbi Méïr dira de même : « Restreins tes affaires pour pouvoir t’occuper de l’étude de la Torah… » (Ibid 4,12). Dans le même ordre d’idée, la Torah a donné un jour chômé, le Chabbat, pour ne pas être englouti par un travail incessant qui ne serait plus productif.

Il est déconseillé de faire partie du gouvernement mais cela n’empêche pas de s’intéresser à la politique et de même prier en faveur de ceux qui nous gouvernent. Comme le dit Rabbi ‘Hanina, suppléant du grand-prêtre : « Prie pour le salut de ceux qui sont à la tête de l’État, car sans la crainte qu’ils inspirent, les hommes s’entredévoreraient. (Ibid 3,2). Car sans le respect pour l’autorité légale, pour la République, il n’y a pas de société possible et c’est la porte ouverte à la délinquance. D’où cette prière pour la République Française que nous récitons à l’office du Chabbat devant les rouleaux de la Torah.

Ainsi, il est préférable de se concentrer sur son travail et sa famille que chercher la célébrité en devenant rabbin ou membre du gouvernement. Comme disait Rabbi Eleazar Hakapar : «… l’ambition abrège la vie de l’homme. » (Ibid 4,28).

Gilbert Werndorfer écrit à ce propos dans son fameux livre Le Talmud par thèmes (Les Éditions du Cerf, 2023), je cite :

« Le travail c’est la santé, chantait Henri Salvador…

Et rien n’est plus vrai pour les maîtres de la Guemara. Sans travail, il n’y a pas de pain et sans pain, il n’y a pas d’étude de la Torah. Il faut avoir l’esprit libre, le plus possible, pour pénétrer les textes. Il faut que l’estomac soit rempli pour qu’il laisse l’esprit se concentrer. L’homme de Torah, le maître, ne peut pas faire de l’étude et de l’enseignement de la Torah une parnassa, la substance matérielle pour vivre.

L’étude ne peut être monnayée, l’enseignant doit enseigner et transmettre son savoir pour le bien du peuple, pour D.ieu et pour lui-même. Les maîtres considèrent qu’il peut y avoir un risque de perversion ou de détournement du sens si ce dernier était soumis à la contingence d’un « salaire »… Un quelconque intérêt pourrait conduire à manquer de rigueur dans son discours, mais aussi à faire de la Torah une couronne dont on abuserait, comme un objet du pouvoir sur l’ignorant ou le crédule.

Les maîtres avaient donc tous un travail qui leur permettait d’enseigner sans attendre une rétribution de leur savoir. (Par exemple, Rachi était vigneron et Maïmonide, médecin). Toutefois, il en est autrement depuis de nombreuses années. L’enseignement de la Torah est devenu une parnassa. Les rabbins diffusent leur connaissance soit contre un salaire soit contre des dons. La modernité n’a pu préserver cette injonction. La dimension spirituelle des maîtres du Talmud et bien sûr de certains grands rabbins après l’ère talmudique n’est pas comparable à celle d’aujourd’hui. Mais cela ne rend en rien les cours ou le message des rabbins contemporains moins authentiques. »

Le Talmud insiste également sur la valeur du travail : « Rabbi ‘Hiyya bar Ami a dit au nom d’Oula : Celui qui profite de son dur labeur est plus grand qu’une personne qui craint D.ieu c’est-à-dire celui qui est tellement captivé par sa crainte de D.ieu qu’il reste les bras croisés et ne travaille pas. » (BERAKHOT 8a).

Trop d’ambition risque d’impacter la vie de famille. Car en étant rabbin ou membre du gouvernement, on s’occupe de la collectivité et par conséquent on est moins présent pour sa femme et ses enfants. Or, la cellule familiale est la base d’une société saine.

Aussi, l’éthique juive encourage le travail au vu de la plénitude familiale avant toute chose, au détriment de nos ambitions personnelles.

Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue
Expert judicaire