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TRAUMATISMES TRANS-GÉNÉRATIONNELS DANS LE JUDAÏSME

Les mois hébraïques de Tamouz et Av sont tristes. C’est effectivement pendant cette période que ce sont déroulés les événements les plus douloureux pour le peuple juif : destruction des deux Temples de Jérusalem, expulsion des juifs d’Espagne, pogroms divers, rafle du Vel d’Hiv et j’en passe, le tout générant des traumatismes psychologiques d’ordre national.

Un devoir de mémoire s’impose, d’autant plus que ces traumatismes continuent à se transmettre de génération en génération. C’est ce qu’on appelle en psychologie les mémoires transgénérationnelles.
Pour traiter les conséquences de ces traumatismes psycho-affectifs, on fait appel à plusieurs méthodes thérapeutiques comme l’hypnose ou l’EMDR.

On invite le patient à revivre la situation anxiogène. L’émotion qu’il exprime alors, au moment de la séance avec l’aide du thérapeute, lui permet de ressortir une fois pour toutes ce qu’il a refoulé et finalement de s’apaiser pour éviter l’installation d’une névrose d’angoisse. C’est ce que nous faisons finalement en ces mois de Tamouz et de Av où nous revivons à travers le jeûne, la prière, ces moments douloureux et quelque part, cela nous apaise indirectement.

De même, dans son Michné Torah, le Rambam Maïmonide déclare au sujet des lois de deuil que toute déchirure (la Kéria) pour un mort que l’on pratique sur une partie du vêtement doit être faite au moment même où l’on apprend le décès, ou sinon, cela n’est pas valable. Car, explique Maïmonide, la déchirure du vêtement doit se pratiquer au moment où la douleur est intense. Probablement, cela permet d’évacuer et d’éviter ainsi l’installation d’un deuil pathologique ou d’un état de stress post-traumatique.

Chaque année, on rappelle cet événement et on remémore le souvenir du défunt à l’occasion du jour d’anniversaire du décès. On revit ainsi la situation anxiogène avec toutes les émotions et les pleurs que cela comporte. Une manière encore une fois d’évacuer le stress. Car pleurer n’est pas si péjoratif. Cela fait du bien et apaise. Tout ce que D.ieu a créé est bon, même les larmes. Surtout lorsqu’elles sont constructives.

C’est pleurer pour rien qui n’est pas bien. Quand les enfants d’Israël ont pleuré après le retour des explorateurs suite au compte rendu négatif de la majorité d’entre eux (excepté Josué et Caleb) sur la terre de Canaan et ses habitants, c’était un 9 Av. Cela a coûté 40 ans d’errance dans le désert et la mort de toute une génération qui s’est vue l’interdiction de rentrer en Terre Sainte alors que le peuple était à deux doigts d’y parvenir. Avec en bonus, des années plus tard, la destruction du Temple, tragédie qui aura justement lieu un 9 Av. D.ieu décida en effet que puisqu’ils avaient pleuré ce jour-là sans aucune raison valable, ils pleureraient ce même jour à travers l’Histoire pour de bonnes raisons.

Lorsque l’on revit le traumatisme avec une forte émotion jusqu’à en pleurer, cela procure un soulagement et un apaisement, car il s’agit là de larmes légitimes. Arthur Janov, psychologue américain (1924-2017), l’inventeur de la thérapie primale dont l’objectif est d’amener les patients à revivre les souffrances profondes réprimées dès la petite enfance afin de comprendre leurs émotions rapporte que pleurer peut non seulement soulager et apaiser, mais cela peut aussi être curatif. Je cite ses propos :
« On fait taire ses enfants, on les traite de ‘’pleurnichards’’, on considère que c’est adulte que de ne pas pleurer et on prend les pleurs pour un signe de faiblesse. Pourtant, on peut se libérer non seulement de troubles psychiques mais aussi de certains symptômes physiques grâce aux pleurs connectés avec des souffrances anciennes refoulées. Certains patients ont d’ailleurs rapporté s’être libérés d’allergies, de sinusites… »

Janov est sans équivoque sur le risque possible d’une répression massive de la peine :
– « […] si l’on ne nous laisse pas manifester ce sentiment de tristesse, si l’on ne peut ouvertement exprimer à fond sa douleur, les sentiments ‘’s’engourdissent’’ et, passé un moment, la dépression s’installe. »
– « Pleurer ne sert pas seulement à exprimer une peine globale ; les pleurs sont aussi un véhicule qui nous fait remonter le temps jusqu’à des traumatismes bien précis, enfouis en nous par les mécanismes du refoulement. (…) Les larmes nous lavent de la souffrance et démasquent l’inconscient. »
– « On ne saurait mieux dire ! Pleurer est un phénomène naturel, ignoré, mal compris et parfois méprisé. Chez l’enfant comme chez l’adulte, les larmes soulagent, apaisent et peuvent même nous amener à retrouver d’anciennes blessures et à nous en libérer. Pleurer fait ainsi partie du processus de guérison. »

Nous l’avons déjà écrit :
« Depuis le jour de la destruction du Temple, toutes les portes du ciel ont été scellées, mais les portes des larmes n’ont pas été scellées » (Talmud, Berakhot 32b) ; or la souffrance et l’affliction s’expriment dans les larmes. Lorsque ces dernières sont justifiées et légitimes, elles sont d’une aide précieuse pour évacuer la souffrance psychique. Elles participent à la guérison.

Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue
Expert judicaire