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SCHIZOPHRÉNIE ET SPIRITUALITÉ DANS LE JUDAÏSME

La schizophrénie est une psychose qui se caractérise essentiellement par un signe pathognomonique : l’état dissociatif.

Cette dissociation n’est pas retrouvée dans les autres psychoses où l’individu reste structuré.

L’état dissociatif se caractérise par la perte de l’unité psychique, une dysharmonie de l’esprit, portant sur l’intellect (pensée, langage, logique…), l’affectif (les émotions, ambivalence) et le comportement psychomoteur (mimiques, maniérisme, rires immotivés, stéréotypies, bizarreries, catatonie).

La traduction clinique de la dissociation est la discordance. Cet état est à l’origine d’une présentation particulière du sujet schizophrène : froideur, indifférence, bizarrerie du contact, impénétrabilité, hermétisme, réticence, le tout pouvant aboutir à un état déficitaire : c’est le repli autistique et la tendance à l’isolement.

DISSOCIATION et DISCORDANCE sont regroupées par un terme commun : la DÉSORGANISATION PSYCHIQUE. Ce terme est plus approprié car il permet d’éviter de confondre la dissociation psychotique avec les états dissociatifs observés dans les névroses.

Les idées se bousculent chez le schizophrène. Le patient a du mal à aller à l’essentiel. Il perçoit la réalité d’une manière différente de ceux qui l’entourent. Le schizophrène a beaucoup de mal à effectuer les tâches de la vie quotidienne. Le rapport avec les autres est difficile. Il n’arrive plus à contrôler ses émotions et à prendre des décisions. Il a le sentiment d’être dirigé à distance (syndrome d’influence) et que l’on devine ses pensées (automatisme mental). Son corps devient impalpable.

On met en évidence un rationalisme morbide.

Cette dépersonnalisation est source d’anxiété voire d’angoisse permanente nommée angoisse de morcellement, engendrant de l’inquiétude et de l’insécurité.

La dissociation est à l’origine d’une perte de l’unité de la personnalité et d’une rupture de contact avec la réalité. C’est l’état dissociatif qui est responsable des symptômes de la schizophrénie et de la distorsion cognitivo-intellectuelle.

Les symptômes sont de deux types :

→ Positifs (productifs) : délire, hallucinations.

→ Négatifs (ou déficitaires) : aboulie, apragmatisme, isolement, repli autistique.

La distorsion cognitive se traduit par des troubles mnésiques, des difficultés de concentration, d’attention, de la compréhension, du jugement, du raisonnement. L’interprétation est erronée.

Il existe aussi des troubles de la perception et des fonctions exécutives (planification, organisation et réalisation des tâches). Il y a une perte de la motricité fine. Ce déficit cognitif est associé à une perte du contrôle de la réalité. Par conséquent, on assiste chez le schizophrène à une distorsion sociale.

Les troubles cognitifs précèdent souvent les premiers signes psychotiques. Stables au début, ils s’amplifient juste avant l’entrée dans la psychose. D’où l’intérêt de les rechercher en premier. Les déficits cognitifs s’avèrent être le facteur pronostic le plus important de la schizophrénie, encore plus que les symptômes psychotiques traditionnels. Car c’est la situation cognitive du sujet qui conditionne ses capacités d’adaptation sociale et de réinsertion et donc son avenir.

Les symptômes positifs de la schizophrénie s’expliquent par une hyperactivation des voies dopaminergiques au niveau du système limbique.

Les symptômes négatifs sont liés à une diminution de la transmission de dopamine au niveau du cortex cérébral préfrontal.

Bien qu’il existe des médicaments (neuroleptiques classiques, antipsychotiques atypiques) qui réduisent les symptômes cliniques de la schizophrénie, notons qu’aucun n’améliore l’état dissociatif. En effet, même les antipsychotiques restent souvent peu efficaces sur la dissociation.

Seule la remédiation cognitive peut apporter sa contribution sur l’état dissociatif. II s’agit d’une technique de remédiation cognitivo-comportementale, un programme d’entraînement cognitif qui comprend des exercices auditifs, visuels et d’identification des émotions permettant d’améliorer le contrôle de la réalité. La remédiation cognitive nécessite d’entreprendre dans un premier temps un bilan neuropsychologique pour cibler les domaines dans lesquels le patient est le plus en difficulté. L’objectif étant ensuite de mobiliser les secteurs cognitifs carencés.

Par conséquent, la prise en charge thérapeutique de la schizophrénie est médicamenteuse, psychosociale, le tout accompagné de la remédiation cognitive.

Notons l’intérêt de la sismothérapie dans les formes sévères et résistantes.

La schizophrénie se résume donc en six D :

  • Dissociation,
  • Désorganisation,
  • Discordance,
  • Déficit cognitif,
  • Délire,
  • État Déficitaire.

En psychiatrie, les signes et symptômes peuvent être regroupés autour :

  • de la cognition (pensée, langage, système logique),
  • des affects (émotion et humeur),
  • des comportements (présentation, conduites sociales).

Ainsi, dans la schizophrénie, on retrouve une désorganisation globale de la personnalité tant sur le plan cognitif, émotionnel et comportemental.

COGNITIF : anomalies du discours, du langage.

ÉMOTIONNEL : discordance entre ce qui est vécu et exprimé.

COMPORTEMENTAL : aboulie, bizarreries.

Du point de vue du judaïsme, on peut affirmer que les troubles psychiques de la schizophrénie retentissent sur les 3 niveaux de l’âme.

En effet, la dissociation intellectuelle (la pensée et le langage) correspond à la NÉCHAMA, celle de l’affect et des émotions à ROUA’H. Et enfin, la dissociation du comportement et des instincts correspond à NÉFÉCHE.

Dans son ouvrage le HAYOM YOM (enseignement du 4 Elloul), le Rabbi de Loubavitch rapporte :

« Pour décrire la qualité du genre humain, il est fait usage de quatre termes :

« Adam » caractérise l’élévation morale et intellectuelle.

« Iche » désigne les qualités de cœur et l’émotion.

« Enoche » fait allusion à celui qui est faible, par son intellect, par ses sentiments, ou même par les deux à la fois.

« Guévére » est celui qui surmonte sa faiblesse pour franchir les barrières et les obstacles, afin d’obtenir l’élévation intellectuelle ou sentimentale.

Ainsi, « Guévére » transforme « Enoche » pour l’élever au statut de « Iche » ou de « Adam ». »

Par conséquent, la schizophrénie peut toucher tous les genres humains :

– Adam par la dissociation intellectuelle.

– Iche par la désorganisation émotionnelle que cela engendre.

– Enoche par la faiblesse intellectuelle et émotionnelle, responsable d’un comportement dissocié.

– Guévére, quant à lui, concrétise la volonté de surmonter (Mitguabére en hébreu, apparenté à Guévére) la maladie mentale afin de retrouver un équilibre psychique.

Thomas Stephen Szasz (1920-2012), psychiatre et professeur émérite de psychiatrie hongrois, affirmait : « Si vous parlez à D.ieu vous êtes religieux. Si D.ieu vous parle, vous êtes psychotique. » D’où la question :

Les grands personnages de la Bible étaient-ils atteints de maladies mentales ?

Des neurologues et psychiatres américains ont essayé de répondre à cette question dans un article publié en 2012 dans la très sérieuse revue The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences. Les auteurs ont pris au pied de la lettre les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament afin d’en décortiquer la sémiologie.

Intéressons-nous à l’analyse de deux d’entre eux : Abraham et Moïse.

ABRAHAM, selon ces psychiatres américains, serait le premier cas de psychose caractérisée par un épisode d’hallucination visuelle et auditive avec délire mystique et passage à l’acte violent contre son fils. D’après eux, le patriarche remplit les critères du DSM de la schizophrénie.

MOÏSE, quant à lui, serait un schizo-affectif. Premier prophète du judaïsme, Moïse aurait présenté, toujours selon ces psychiatres, des signes de schizophrénie : de la révélation du buisson ardent à la dictée des Tables de la Loi, ses hallucinations visuelles et auditives sont multiples. « Moïse est d’abord un enfant abandonné, ce qui laisse des traumatismes psycho-infantiles importants », note le Dr Didi Roy. Après avoir tué un Égyptien, il subit un déclassement social violent : de prince, il devient berger dans le désert. « Chez Moïse, les hallucinations arrivent assez tard, à l’âge de 40 ans : on peut donc se poser la question d’une psychose tardive de type psychose hallucinatoire chronique, explique le psychiatre. On peut aussi se poser la question d’un trouble bipolaire avec une manie délirante. » Dans ce trouble en effet l’excitation et l’euphorie peuvent aller jusqu’au délire et aux hallucinations. Moïse sait aussi se montrer d’une rare violence. En plus de l’épisode de l’Égyptien, il sacrifie 3 000 adorateurs du veau d’or… Hallucinations, changements brutaux d’humeur, graphorrhée, les auteurs concluent ainsi à un trouble bipolaire ou à un trouble psychotique associé à un trouble de l’humeur, appelé trouble schizo-affectif.

Pour nous, juifs, Abraham comme Moïse ne sont absolument pas des hallucinés mais bien des individus tout à fait clairvoyants avec un haut niveau spirituel. Et il en est de même d’ailleurs pour tous les prophètes de la Bible. Car il est admis que ces personnages bibliques ont tous en commun un cœur pur, leur seul but étant de rapprocher les gens de D.ieu en mettant en avant leurs qualités. Or, il est dit : « Ô D.ieu, crée en moi un cœur pur, et renouvelle en mon sein un esprit juste. » (Psaumes 51,12). Autrement dit, lorsqu’on possède un cœur pur, l’esprit prophétique qui en ressort est véridique et non pathologique.

« La prophétie de Moïse notre maître est authentique ! », affirme haut et fort Maïmonide dans les 13 articles de foi. Cette hypothèse n’est absolument pas mise en cause dans le judaïsme car cela remettrait en question toute la Torah et sa révélation au mont Sinaï.

La schizophrénie, certes, engendre un trouble de l’esprit. Le pronostic est en général la rémission mais non la guérison. À ce titre, on peut considérer la psychose schizophrénique comme un cancer de l’esprit.

Pour le judaïsme, cette psychose perturbe aussi notre spiritualité. Néanmoins, la prophétie telle que décrite dans la Bible est considérée par nos sages comme incontestable. Elle n’appartient pas à la maladie mentale.

Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue
Expert judicaire