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LUTTE INTÉRIEURE

Si le Talmud ne fait pas partie des sources revendiquées par Sigmund Freud pour l’élaboration de sa théorie du rêve, on y trouve néanmoins un petit traité abordant le sujet, au chapitre 9 de la Guémara Bérakhot, appelé, Pérek Haroé (Le chapitre de celui qui voit).

Au fil de trois pages recto verso, il est relaté et décrit le sens des rêves qui, selon le Talmud, dépend de l’interprétation qu’on lui confère. Aussi, les Rabbins conseillent de toujours interpréter les rêves et notamment les cauchemars du bon côté. Tout d’abord en affirmant par trois fois : ´HALOM TOV, qui veut dire BON RÊVE, une façon d’émettre une interprétation positive.

Pour élaborer ses théories psychanalytiques, Freud s’est avant tout appuyé sur la mythologie grecque. Freud était un bon connaisseur de la Bible, mais son accès au Talmud reste une énigme. Quoi qu’il en soit, la théorie de Freud sur le Moi, Ça et Surmoi trouve son origine dans la Torah.

L’hypothèse de Freud est la suivante : le Moi, ou personnalité, est la résultante d’un tiraillement entre d’un côté le Ça, réservoir des pulsions naturelles de l’individu (notamment sexuelles, libidinales) représenté par l’âme végétative et le Surmoi, instance de la Loi, la législation, qui constitue la morale. L’Homme lutte en permanence entre ses pulsions et la Loi, entre le Ça et le Surmoi, ce qui à la fin construit sa personnalité, son Moi, sa manière d’être.

La Torah décrit la création de l’homme : « L’É-ternel D.ieu modela l’homme, poussière de la terre… » (Genèse, 2, 7) ; modeler, créer, en hébreu VAYITSÉRE, mot écrit avec deux lettres YOUD, alors que pour l’animal, le même mot employé par le texte biblique pour définir sa création n’est pas écrit avec deux YOUD.

Deux YOUD pour indiquer les deux instincts de l’être humain, à savoir les pulsions végétatives (présentes aussi chez l’animal) et la morale, le cadre législatif, exclusif à l’homme, en l’occurrence le Ça et le Surmoi.
L’Homme se « modèle », se construit, à partir de cette lutte entre le bon et le mauvais penchant, appelés respectivement dans la Torah : YÉTSÉRE HATOV et YÉTSÉRE HARA. Ces deux YÉTSÉRE étant symbolisés par les deux YOUD (la première lettre du mot YÉTSÉRE étant justement un YOUD).

Un autre texte, du Talmud cette fois (Bérakhot, 61 a) s’apparente à la topique psychique de Freud, je cite : « Nos Maîtres ont enseigné dans une baraïta : « L’être humain est tiraillé entre les incitations contradictoires de ses deux reins. L’un le conseille pour le bien (sous-entendu le Surmoi) et l’autre le conseille pour le mal (le Ça). Et la Guémara juge plausible d’attribuer l’influence positive au rein droit et la mauvaise à celui du gauche, car il est écrit : » Le cœur du sage à sa droite et le cœur du sot à sa gauche ». »

Indirectement, Sigmund Freud a puisé ses théories à partir des écrits saints, de la Torah écrite (la Bible) et de la Torah orale (le Talmud). Freud était pourtant athée. Il suggérait même que la religion n’était rien d’autre qu’une névrose obsessionnelle universelle de l’humanité. Mais, il ne faut pas oublier que Freud a bercé pendant toute son enfance et adolescence dans la tradition juive, forgeant inconsciemment son état d’esprit par celui de la Torah. Ce qui a pu influencer sa façon de penser.

Il est néanmoins important de dire que pour la Torah, les pulsions végétatives ne sont pas négatives.
Sans libido par exemple, nous aurions du mal à choisir un ou une partenaire, à nous lier pour la vie, et à avoir des enfants. La connexion, l’intimité, et le plaisir que nous éprouvons lorsque nous écoutons notre libido sont importants et super motivants. Sans eux, nous n’aurions peut-être même pas l’envie d’être en relation avec quelqu’un d’autre, et encore moins de procréer avec eux. Le monde finirait par disparaître.

Dans le judaïsme, la sexualité est l’un des piliers fondamentaux du couple. Au-delà de sa fonction de reproduction, il s’agit d’une véritable union physique et mentale de deux êtres qui se sont unis pour la vie. Une sorte de consécration de la complicité et de l’amour qui les lient.

Le Surmoi intervient non pas pour interdire mais imposer un cadre afin de prévenir les conduites déviantes, plus particulièrement sexuelles, considérées par la Torah comme les pires de toutes. Le Surmoi agit comme un régulateur, il tempère les émotions excessives.

Ce qui vient d’être précisé pour la sexualité est valable pour toutes sortes de pulsions : alimentaires, le désir de l’argent, la dépendance aux toxiques… Le Ça nous incite à faire et le Surmoi recadre. Dans le judaïsme, c’est la Torah, la loi mosaïque qui alimente ce Surmoi. La Torah a finalement une fonction « thymorégulatrice ».

Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue
Expert judicaire