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LA RELATION MÈRE-ENFANT DANS LE JUDAÏSME

La section de Ki Tetsé rapporte la fameuse Mitsva de CHILOU’AH AKÈNE, renvoyer la mère du nid d’oiseaux.

Voici ce que dit la Torah : SI TU RENCONTRES EN TON CHEMIN UN NID D’OISEAUX SUR QUELQUE ARBRE OU À TERRE, DE JEUNES OISEAUX OU DES ŒUFS, SUR LESQUELS SOIT POSÉE LA MÈRE AVEC SA COUVÉE (c’est-à-dire qu’elle est encore au-dessus de ses petits), RENVOIE LA MÈRE ET LES PETITS TU PRENDRAS, DE LA SORTE TU SERAS HEUREUX ET TU VERRAS SE PROLONGER TES JOURS (Dévarim, 22, 6 et 7).


Nous ne connaissons pas la raison de cette mitsva. Plusieurs hypothèses sont malgré tout émises par nos sages. Personnellement et cela n’engage que moi, cette mitsva a trait à la fusion mère-enfants. 
Je m’explique : cette mitsva de renvoyer la mère avant de prendre sa couvée, exige une grande dose de Foi ,car, a priori, cet acte semble cruel. Et d’un autre côté, on renvoie la mère pour lui éviter ce spectacle douloureux de lui confisquer ses enfants.


La Torah nous enseigne ici les limites de la relation fusionnelle PARENTS – ENFANTS. Thème qui, on le sait, a fait couler beaucoup d’encre chez les psychanalystes Freudiens. 
La venue d’un enfant entraîne souvent une focalisation sur le nouveau venu de la famille. Néanmoins, il faut savoir fixer la séparation nécessaire entre l’amour parental et la fusion excessive.

En d’autres termes, prendre conscience, de la nécessité un jour, de couper LE CORDON OMBILICAL. Certes, il n’est pas aisé de trouver l’équilibre parfait dans nos relations avec nos enfants. Une étude montre qu’un enfant sur sept vit avec un seul de ses parents. Et neuf fois sur dix, ce sont des mères qui élèvent leurs enfants seules (d’où peut-être l’exemple de la mère avec ses oisillons dans la Torah sans évoquer le père). En voulant le meilleur pour leurs enfants, elles ont du coup tendance à les surprotéger.


Bien que la fusion MÈRE-ENFANT soit nécessaire, elle doit être limitée dans sa durée. Si l’enfant prend une place importante à sa naissance, les parents ne doivent pas oublier leur vie de couple. C’est là où intervient le rôle du père. La fonction du père est de séparer l’enfant de la mère. Il doit s’interposer entre la mère et l’enfant pour permettre à l’enfant de développer son identité en dehors de la symbiose maternelle et rappeler à la mère qu’elle est aussi une femme, une amante, un être de plaisir, un être de devoir généreux. Si la mère représente l’amour fusionnel, le père représente les limites, les frontières, la séparation psychologique.


Avant la naissance, l’enfant et la mère entretiennent une relation particulière non négligeable pendant les 9 mois de la vie fœtale. Cette fusion nécessaire au développement de l’enfant doit ensuite s’atténuer progressivement au-fur et à mesure que l’enfant grandit. Aussi, renvoyer la mère et garder les oisillons, c’est prendre conscience qu’il arrive un jour où l’enfant doit voler de « ses propres ailes », sans vouloir faire de jeu de mots. La crise d’adolescence a d’ailleurs vocation à détacher l’enfant de la fusion parentale. Elle est parfois violente, cruelle, comme la confiscation des oisillons à leur mère mais ô combien nécessaire à la construction psychique de l’enfant !


Il ne s’agit pas ici d’abandonner son enfant, le laisser sur la touche se débrouiller tout seul. On renvoie la mère pour prendre les oisillons, à savoir, en comparaison, on sépare l’enfant de sa mère pour qu’il grandisse.
 À un âge donné, il sort du cocon familial pour affronter la vie en le confiant notamment au système scolaire pour compléter son éducation et l’aider à acquérir son autonomie sociale.

La Torah nous apprend que le contrôle parental doit être mesuré et trouver des compromis au bénéfice de l’enfant.
 Là est toute la difficulté. Trouver le juste milieu. On parle souvent de la mère juive, reprise par de nombreux humoristes, je pense en particulier à Woody Allen.
 L’attitude anxieuse de cette mère juive la rend malgré elle, dominatrice, voire toxique, castratrice, intrusive, empêchant parfois l’enfant de s’affirmer. Cette attitude fusionnelle engendre une perte de confiance chez cet enfant qui a du mal ensuite à trouver sa place dans la société.

Mais, on ne peut en vouloir à nos mères juives, qui auraient selon certains chercheurs, développé cette surprotection maternelle d’une façon innée, en réflexe après la Shoah. De nombreuses mères, y compris non juives, ont aujourd’hui cette attitude fusionnelle, parfois même dévorante. Sur le plan psychopathologique, il ne s’agit pas ici d’une pathologie individuelle mais d’une dynamique de groupe. Si le père s’efface et ne joue pas son rôle dans la relation Parent-Enfant, le lien filial prend alors la place du lien conjugal, au détriment de tout.


Ainsi, la Torah nous invite par cette mitsva de CHILOU’AH AKÈNE, à tempérer nos liens affectifs avec nos enfants et ce pour leur bien. En l’occurrence, assurer leur construction affective et identitaire pour qu’ils puissent être capables de transmettre à leur tour.

D’où la promesse : TU SERAS HEUREUX ET TU VERRAS SE PROLONGER TES JOURS. Les enfants pourront ainsi poursuivre ce que les parents ont commencé.

 
Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue