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PSYCHOTHÉRAPIE ET JUDAÏSME : LA TRAVERSÉE DE LA MER ROUGE

La psychothérapie est un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychique (source : OMS). Elle vise à provoquer des changements d’attitudes, de comportements, de manières de penser ou de réagir chez une personne, afin de lui permettre de mieux se sentir, de trouver des réponses à ses questions, de résoudre des problèmes, de faire des choix, de mieux se comprendre. Elle est sensée apaiser les angoisses et restaurer l’estime de soi.

Le judaïsme n’évoque pas particulièrement la psychothérapie. On peut toutefois trouver à travers les mots de la Torah des insinuations. Par exemple, La Torah préconise le commandement de lire le « Chéma Israël » matin et soir afin de proclamer quotidiennement l’Unité d’HACHEM : « Écoute Israël, Hachem est notre D.ieu, Hachem est Un ».

Or, ÉCOUTE ISRAËL peut aussi être compris comme une invitation à écouter l’autre. Être attentif, sensible aux dires de son prochain, afin de l’aider au mieux. Principe même de la psychothérapie.

Autre allusion : « Si tu vois l’âne de ton adversaire ployer sous son fardeau, évite de l’abandonner, aide -le, avec lui ! » (Chémot,23,5). Âne se dit ´HAMOR en hébreu, qui s’apparente à ´HOMER, l’argile, symbole de la terre et de la matérialité. Pris dans ce sens, le verset se lit autrement : Si tu vois ton adversaire ployer sous le fardeau de la vie, la matérialité, ne te détourne pas de lui, aide-le ! Or, la meilleure aide que l’on peut apporter à quelqu’un c’est au moins prendre le temps de l’écouter.

Il existe plusieurs types de psychothérapies et les techniques sont diverses. Le Judaïsme propose t-il une méthode ?
Officiellement, non.

Néanmoins, encore une fois, on peut trouver à travers l’histoire biblique, une allusion à une méthode psychothérapeutique. Assurément, les juifs ont été esclaves en Égypte. L’Egypte en hébreu c’est MITSRAIM, terme qui se rapproche de METSAR, la détresse. Pour sortir de la détresse, D.ieu envoie MOÏSE un prophète, qui porte la parole de D.ieu : MOÏSE, MOCHÉ, en hébreu, mêmes lettres que HACHEM, pour bien nous signifier que D.ieu parle à travers MOISE.

MOÏSE, veut sortir les Hébreux de l’affliction, du chagrin, du désespoir, de la mélancolie, de l’angoisse autant de souffrances représentées par l’Egypte, MITSRAIM. Il est a l’écoute du peuple tel un thérapeute à celui de son patient.
Par étapes, en 10 « séances », les 10 plaies, MOÏSE sort les enfants d’Israël du pays d’Egypte, de MITSRAIM.

Mais, voilà, ce n’est pas facile ! Une fois sortis de l’esclavage d’Egypte, le passé les rattrape. Les égyptiens poursuivent le peuple juif ! Les démons du passé reviennent.
Les enfants d’Israël se retrouvent en face de la mer des joncs. Et de chaque côté, le désert et les bêtes sauvages.
Que faire ? Retourner en Égypte ? Cela reviendrait à revenir à l’esclavage et s’enfoncer dans le chagrin.

« …Ils eurent très peur ; les enfants d’Israël crièrent vers l’É-ternel »(Chémot,14,10). Ils se mirent à prier. D.ieu répond à Moché : « Qu’as-tu à crier vers Moi ? Parle aux enfants d’Israël et qu’ils avancent ! »(Ibid. 14,15). Et Rachi de commenter : « Ils n’ont pas d’autres choix que d’avancer ! »

On nous apprend ici qu’il est des moments propices à la prière et qu’il en est d’autres où la prière est superflue, voire mal venue ; l’action doit être entreprise sans délai.
Hachem demande alors à MOCHÉ que le peuple avance, plonge dans la mer et qu’il attende la délivrance !
Surtout, ne pas retourner en Égypte ! Autrement dit, ne pas ressasser le passé !

Certes, la prise en charge psychothérapeutique repose sur l’analyse du passé du patient et sur la signification symbolique de ses symptômes. D’ailleurs, dans ce même passage de la paracha Bechalah’ qui a trait à la traversée de la mer Rouge, Hachem ordonne aux Hébreux « qu’ils reviennent en arrière » afin de tromper Pharaon. Autrement dit, une invitation à exprimer les souffrances du passé avant de les oublier une fois pour toute.

Toutefois, il ne faut pas en rester là. Il faut avoir l’audace d’aller de l’avant. Poursuivre le travail psychique sans ruminer à chaque fois les traumatismes du passé. C’est la raison pour laquelle Hachem ordonne à Moise toute une stratégie.
Tout d’abord : « Il les fit tourner… »(Chémot,13,18) et Rachi de commenter : il les a détournés du chemin direct vers un chemin de déviation. Car tel est le but de la psychothérapie : changer notre manière d’appréhender les situations, modifier nos schémas de pensée, raisonner autrement qu’auparavant.

Ensuite, D.ieu leur demande de camper «d evant Pi Hah’irot », localité difficile à identifier. Pour Rachi, il s’agit de PITOM, une ville Égyptienne. PITOM veut dire prison, littéralement, la bouche fermée, maintenant nommée PI HAH’IROT, la bouche de la liberté, car c’est là, dit Rachi, que les Bné Israël, devinrent libres. On nous enseigne ici qu’une fois sortis du déchirement du passé, on ne doit pas en rester là. Il faut s’efforcer malgré les difficultés de la vie de poursuivre cet élan vers la liberté. Oublier PITOM, la prison, pour Pi-Hah’irot, la porte de la liberté.

Ariela Chetboun, dans son récent ouvrage, Une Année avec la Cabale, écrit dans le même esprit :
« Traverser la mer poursuivis par les Égyptiens fut une terrible épreuve pour les Hébreux. Quelque fois, dans la vie, il n’est possible que d’avancer. Arrêter de réfléchir et de discuter, aller de l’avant. Traverser la mer a été pour eux un aboutissement psychologique ». L’auteure poursuit en expliquant que les Égyptiens représentent nos peurs et nos faiblesses, qui finalement ont disparu au fond de «la mer » de l’inconscient.

Le peuple d’Israël est sorti transformé de cet épisode de la Mer Rouge. Cette « thérapie de groupe » lui a fait prendre conscience de sa capacité à transformer sa vie. Pourtant, cela ne l’a pas empêché de retomber dans la nostalgie de l’esclavage et la tristesse. Confronté aux tribulations de la vie : la soif, la faim, la guerre, le manque de confort…, il lui a fallu à chaque fois redoubler d’efforts pour ne pas retourner dans les affres du désespoir, encouragé par les paroles empathiques de Moché Rabbeinou.

Le travail psychique est en effet un travail permanent. L’homme est quotidiennement harcelé de toute part. Les souffrances ne manquent pas. Il se retrouve comme lors de la sortie d’Egypte, nulle possibilité de fuir hormis avancer malgré les obstacles. Il ne lui reste plus alors que s’en remettre à D.ieu, le Créateur du monde (Boré Olam ), ne pas regarder en arrière et s’empresser courageusement de courir et dépasser sa tristesse, ses tourments.

« Parle aux enfants d’Israël et qu’ils avancent!.. »( Chémot ,14,15), ordonne Hachem à Moché, qu’ils suivent leur chemin et avancent dans la mer, sans nulle pensée ni regard vers l’arrière. La Torah nous enseigne ici qu’il ne faut pas compter sur le miracle. L’initiative de l’homme est indispensable dans la réussite d’un projet. Le travail psychique doit générer un changement radical dans notre manière d’appréhender la vie. Mais si l’homme ne travaille pas sur lui-même, il ne changera pas, même s’il voit des miracles révélés. Une fois avoir évoqué le passé pathologique en pleurant de toutes ses larmes, il faut ensuite savoir tourner la page. Il arrive un moment dans la vie où il faut arrêter de se plaindre. Apprendre plutôt à exprimer de la gratitude pour tout ce que l’on a déjà.

Le Rav Ittah rapporte dans son ouvrage YEERAV ALAV SI’HI à propos de la traversée de la mer Rouge : « HACHEM délivra Israël en ce jour de l’Egypte…»(Ibid, 14, 3). Il faut remarquer qu’il ressort du texte que la véritable libération des Bné Israël n’a pas eu lieu le jour de la sortie d’Egypte, mais le jour où la mer s’est ouverte. Il explique son point de vue : la sortie d’Egypte s’est passée dans une passivité totale de leur part. Par conséquent, tant que la liberté du peuple n’était pas due à ses efforts et à sa volonté, il n’était pas réellement libre. Mais, lorsqu’ils se sont soumis aux paroles de Moché (comme un patient à son thérapeute) en acceptant de revenir sur leur pas pour tromper Pharaon (la douleur du passé) puis prendre un chemin dévié (modifier ses schémas de pensée) et camper à PI-HaH’irot (maintenir l’élan vers la liberté), jusqu’à même renoncer à prier, ils ont alors fait preuve d’une action résolue et ont mérité la délivrance.

Les enfants d’Israël ne prêtèrent nulle attention aux eaux tumultueuses, symboles des blessures et des tourments. Symboliquement, ils cessèrent de rabâcher les peurs d’antan pour se tourner vers l’espoir d’une vie meilleure.
Ils se précipitèrent avec détermination, confiants de leur capacité à se réaliser. Le Cantique de la mer Rouge (CHIRAT HAYAM) fait partie de la prière du matin. Ceci  peut-être pour nous rappeler tous les jours que l’on peut arriver à se détacher d’évènements traumatisants du passé et se tourner vers un avenir meilleur.

« Songe à sauver ta vie ; ne regarde pas en arrière et ne t’arrête pas dans toute cette région ; fuis vers la montagne, de crainte de périr » (Bérechit,19,17) dit l’ange à Loth au moment où il le soustrait de la destruction de Sodome et Gomorrhe.

Or, «la femme de Loth regarda en arrière et devint une statue de sel » (Ibid.19,26). La femme de Loth connaît un destin terrible, celui qui guette, toute personne qui se retourne à chaque fois sur son passé, refusant d’aller de l’avant. Elle représente finalement cet individu peu enclin au changement, rigide, plaintif. Elle se transforma en statut de sel, rigidifiée.

Quand on prie la AMIDA, le Talmud exige le redressement lorsqu’on mentionne le nom de D.ieu. Cela pour nous apprendre que Hachem ne désire pas des hommes courbés, soumis, abattus par leurs souffrances et leurs tourments. Mais bien des hommes debouts, ayant pris de la distance vis-à-vis du passé, acteur de leur histoire, pour enfin profiter des moments de bonheur que D.ieu octroie.

C’est là où la psychothérapie et son approche spirituelle prennent tout leur sens.

 
Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue