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LA PROCRASTINATION DANS LE JUDAÏSME

– Qu’est-ce que la procrastination ?
La procrastination est une tendance à remettre à plus tard ce qu’on pourrait faire maintenant et à demain ce qu’on pourrait faire aujourd’hui. Cela s’applique majoritairement aux tâches pénibles de la vie quotidienne : ménage, travail, courses, rendez-vous à prendre… Mais, cela peut aussi s’appliquer à la pratique des Mitsvot. Celles que l’on a du mal à faire parce qu’elles nous paraissent pas essentielles ou parce qu’elles nous semblent difficiles.

Il est écrit à propos des Matsot : « Vous garderez les Matsot…» (CHEMOT 12,17). Rabbi Yochia dit : ne lit pas Matsot (les pains Azymes), mais Mitsvot (les préceptes)  ;de même qu’on ne doit pas laisser fermenter la pâte, on ne doit pas laisser « fermenter » (remettre à plus tard) l’accomplissement des Mitsvot ; dès qu’une Mitsva se présente à toi , fais-la sur le champ(Rachi).

Dans le même ordre d’idées, les Pirké Avot (2,4) rapportent un enseignement de Hillel : « Ne dis pas quand je serai libre, j’étudierai (la Torah , de crainte de ne pouvoir te libérer ».

La Torah nous met donc en garde : si on remet nos initiatives à plus tard, les circonstances prendront le dessus et on finira par y renoncer .

– Quelles sont les causes de la procrastination ?
La plupart des psychologues et des médecins s’accordent à dire que la procrastination pourrait être causée par un manque d’assurance, une mauvaise estime de soi ou encore des difficultés de concentration, la peur de l’échec ou le perfectionnisme.

En matière de judaïsme, c’est essentiellement une perte de l’estime de soi. On ne se sent pas capable de s’engager à pratiquer telle mitsva ou d’étudier la Torah car on sait pertinemment que l’on n’a pas le niveau… De ce fait, on remet à plus tard nos bonnes intentions que l’on finit par oublier. À cela , Rabbi Na’hman répond : « La gloire de D.ieu s’exprime lorsque les plus éloignés se rapproche de Lui …L’homme ne doit pas dire : comment pourrais-je me rapprocher d’Hachem, alors que je suis si éloigné, en raison du nombre de mes mauvaises actions ? Bien au contraire, plus l’homme est éloigné, et plus grâce à lui s’accroît la gloire de D.ieu lorsqu’il s’efforce (sans tarder) de revenir et de se rapprocher de Lui… (Likouté Etsot). Ainsi, une image négative de soi doit plutôt nous encourager à avancer que de procrastiner.

– La procrastination est-elle une maladie ?
La procrastination n’est pas une maladie. C’est un terme principalement utilisé en psychologie pour évoquer ce comportement.

Lorsqu’on décide de revenir au judaïsme, l’étape de la procrastination est inéluctable. La Torah dit qu’elle est l’œuvre du Yetser Hara (le mauvais penchant). Ce dernier nous décourage en nous faisant croire que nous ne sommes pas capables de pratiquer les Mitsvot et que quelque part, on ne le mérite pas vue notre éloignement jusqu’à présent.

C’est la persévérance et la confiance en soi qui nous aident à briser les obstacles. Ces derniers, pour Rabbi Na’hman, ne sont que le fruit de notre imagination. On imagine jusqu’à croire en notre incapacité d’évoluer. Tout cela fini par être source de stress ou de culpabilité, autant d’émotions pénalisantes dans la vie quotidienne.

– Comment se débarrasser de la procrastination ?
Pour se débarrasser de la procrastination, il est possible de faire appel à un professionnel (psychologue ou psychiatre) qui vous accompagnera dans votre démarche pour cesser de remettre à plus tard les choses importantes et ainsi mieux gérer votre emploi du temps.

Dans le judaïsme, la meilleure façon de se débarrasser de la procrastination est d’éviter l’isolement en s’approchant de sa communauté et de son rabbin. Le fait d’être entouré nous pousse à avancer. L’effet de groupe catalyse l’action.

«…Ce que je te prescris en CE JOUR …» (DEVARIM,30,16). La Torah nous conseille de pratiquer le jour même, autrement dit sans attendre, ce qui nous est prescrit. Rabbi Nathan, l’élève principal de Rabbi Na’hman, commente ce verset dans likouté Halkhot : nombreux sont ceux qui se dérobent du service divin; ils le repoussent, se trompant chaque jour, déclarant : Aujourd’hui, il m’est trop difficile de prier ! Pour l’instant, mon cœur est obtus ! Actuellement, je traverse tel empêchement, tel trouble ! Ce qui leur arrive pratiquement au quotidien. Au point que nombreux sont ceux qui délaissent les valeurs culminantes de ce monde comme la prière. Cette dernière leur semble un fardeau, ils ne souhaitent que s’en débarrasser !

Tout cela parce que l’homme ne prend pas conscience de la chose suivante : tous les débuts sont difficiles si bien que la situation lui paraît étroite. Mais l’homme doit se raffermir chaque jour, tel un lion, s’efforçant d’allonger et d’élargir le jour. Il doit s’efforcer de quitter l’étroitesse d’esprit pour son élargissement comme il est dit dans TEHILIM 118,5 : «De l’étroitesse j’invoque l’É-ternel, il me répond avec largesse ».

C’est cela le principe de la longévité de l’homme: s’investir chaque jour dans la sainteté afin de profiter pleinement de son temps, de chaque seconde de sa vie.

C’est ainsi que l’on pourra déclarer comme Moché Rabbenou : « Aujourd’hui, j’ai exactement 120 ans » (DEVARIM,31,2).
Moché a vécu pleinement sa vie, sans avoir jamais gâché du temps ni négligé une tâche qui lui avait été assignée. Il ne remettait jamais à plus tard ce que Hachem lui demandait. Autrement dit, il ne procrastinait pas, pouvant ainsi affirmer avoir bien vécu 120 années pleines et entières.

La vie de Moïse doit nous inspirer à vivre notre propre existence avec plénitude.
À chaque nouvel an juif, à Roch Hachana, nous demandons à HACHEM une longue vie. En ce jour particulier, s’éloigner de la procrastination prend tout son sens. En effet, le mot CHANA veut dire ANNÉE. Si on le prononce CHEINA, il se traduit par SOMMEIL. Si on le lit CHINA , il veut dire TRANSFORMER. C’est à nous de choisir ,soit cette nouvelle année est une année de sommeil, de procrastination et donc de stagnation, soit une année de transformation, de changement.

Le judaïsme n’est pas une religion OPIUM. Un juif ne s’endort pas sur ses acquis. Il va de l’avant, lentement mais sûrement. Le CHOFAR que l’on sonne à Roch Hachana est un appel pour nous réveiller (Michné Torah, Halakhot TÉCHOUVA, 3,4), un encouragement pour nous éloigner de la procrastination. Le CHOFAR symbolise en effet cette idée de largesse d’esprit : l’embout est étroit et l’instrument va en s’élargissant jusqu’à son extrémité. Il est le symbole de la mobilité, du changement.

En réalité, une longue vie n’est pas forcément vivre longtemps mais plutôt vivre pleinement chaque instant que D.ieu nous octroie sans remettre à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui. Et ce, même si les choses ne sont pas toujours faites avec perfection.

Aussi, s’éloigner de la procrastination revient finalement à rajouter de la vie aux années.

 
Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue