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LAVAN, L’HOMME QUI BROUILLE LES PISTES : UNE LECTURE MODERNE DE LA PARACHA VAYETSÉ

Il y a dans la Torah des personnages dont la modernité surprend. Lavan, l’oncle de Jacob, en fait partie.
Il n’est pas prophète, pas roi, pas héros… et pourtant son ombre plane sur l’histoire comme un rappel constant de ce que peut devenir une relation toxique.
Dans la Paracha Vayetsé, Jacob arrive chez Lavan pour chercher refuge.
Il croit avoir trouvé un foyer.
Il trouvera en réalité un maître de la manipulation, un virtuose du mensonge, un homme capable de transformer chaque situation à son avantage.

Le sourire de Lavan est un piège. À son arrivée, Jacob est accueilli chaleureusement.
Lavan court à sa rencontre, l’embrasse, le prend sous son aile.
On dirait un homme généreux.
Mais très vite, tout bascule.
Avec Lavan, la gentillesse n’est jamais gratuite.
Elle prépare toujours quelque chose.
Il flaire immédiatement la réussite future de Jacob.
Il voit en lui non pas un neveu à aider, mais une opportunité.
Et dès qu’il réalise que la bénédiction divine accompagne Jacob, son objectif est clair : le garder près de lui, coûte que coûte.

Lavan, c’est l’art de brouiller la réalité. L’épisode du mariage est emblématique.
Jacob travaille sept ans pour Rachel, la femme qu’il aime.
Sept ans de fidélité, de patience, de confiance.
Et lors de la nuit des noces, Lavan substitue Léa à Rachel.
Une tromperie monumentale.
Le lendemain, il se justifie tranquillement :« Chez nous, on ne marie pas la cadette avant l’aînée. » Comme si la coutume locale effaçait la trahison. Comme si Jacob était naïf de ne pas l’avoir su. Aujourd’hui, on donnerait un nom à cela : gaslighting, ou l’art de faire douter l’autre de sa propre perception.

Avec Lavan, tout est inversé, tout est glissant.
La vérité n’est jamais exactement où elle devrait être.
Il change le salaire de Jacob à répétition. Il promet une chose, en fait une autre. Il entretient volontairement l’ambiguïté.
C’est une technique de contrôle : si l’autre est constamment désorienté, il devient dépendant.

Jacob vit dans une incertitude permanente, un terrain émotionnel instable qui rappelle les environnements toxiques que beaucoup connaissent :
au travail, dans la famille, dans un couple.
Ce qui est remarquable, c’est la manière dont Jacob répond.
Il ne se laisse pas détruire.
Il ne rend pas coup pour coup.
Il garde son axe intérieur.
Il travaille honnêtement.
Il avance pas à pas.
Et lorsque le poids devient trop lourd, il comprend ce que la Torah veut enseigner :
parfois, la guérison commence en quittant l’endroit qui nous fait du mal.
Jacob s’en va.
Il se reconstruit.
Et c’est à ce moment-là qu’il devient Israël.

Pourquoi parler de Lavan aujourd’hui ?
Parce que Lavan n’a rien perdu de son actualité.
Il est ce collègue qui change les règles en cours de route.
Ce parent qui culpabilise.
Ce partenaire qui ment avec facilité.
Ce faux ami qui sourit beaucoup mais calcule davantage.
Il est le rappel que la Torah n’est pas seulement un texte ancien :
c’est un miroir de nos vies, de nos relations, de nos choix.
Et elle nous enseigne une vérité simple et profonde :
on ne peut pas éviter les Lavans du monde, mais on peut choisir de ne pas leur ressembler.

Finalement, Lavan nous apprend ce que la manipulation peut faire Jacob nous enseigne comment rester soi-même malgré tout.
Et la Torah nous montre que la croissance passe parfois par le courage de s’éloigner, de dire stop, de retrouver son équilibre.
Un récit vieux de 3 500 ans… et pourtant, une histoire que chacun d’entre nous pourrait vivre aujourd’hui.

Docteur Gilles Uzzan
Psychiatre – Addictologue