
ÉDUQUER SANS CRÉER DE JALOUSIE : la leçon parentale de Yaakov et Yossef
La Torah raconte que Yaakov aimait Yossef plus que ses autres fils, et qu’il lui offre une tunique particulière.
Ce geste, qui part d’un bon sentiment, crée une fracture profonde :
les frères se sentent moins aimés.
Vayéchev devient ainsi une scène d’éducation grandeur nature.
1. Aimer un enfant plus qu’un autre n’est pas une faute
Le montrer, si.
Chaque parent ressent une affinité naturelle avec tel ou tel enfant :
par le caractère, la sensibilité, l’histoire, les ressemblances.
Ce n’est pas un problème en soi.
Le problème commence quand un enfant perçoit, même à tort,
qu’il a moins de place dans le cœur des parents.
Les frères de Yossef n’ont pas vu l’intention de Yaakov.
Ils ont vu un signe d’exclusion.
Première leçon pédagogique :
L’enfant ne souffre pas de votre intention,
mais de ce qu’il pense que vous ressentez pour lui.
2. L’erreur éducative majeure : rendre visible une préférence
Yaakov offre la célèbre tunique à Yossef pour exprimer un amour particulier, chargé de sens.
Mais ce geste, pour les autres enfants, devient un emblème douloureux.
Dans l’éducation, cela arrive quand
• on complimente toujours le même enfant,
• on confie toujours les responsabilités au même,
• on protège celui-ci mais pas celui-là,
• on compare les frères et sœurs.
La comparaison est l’ennemie de la fratrie.
Elle crée des blessures profondes et durables.
3. Aimer chacun “autrement” mais jamais “moins”
Les Sages enseignent :
« Aime chaque enfant selon son caractère. »
Chaque enfant a besoin d’un amour personnalisé :
• l’un a besoin d’être rassuré,
• l’autre d’être valorisé,
• un autre d’être encadré.
Mais cette individualisation doit toujours s’accompagner d’un message clair :
Je t’aime totalement.
Et j’aime ton frère totalement.
Pas de la même façon,
mais avec la même intensité.
C’est cela que Yaakov n’a pas suffisamment rendu perceptible.
4. Comment prévenir la jalousie entre frères et sœurs
Pour préserver l’équilibre familial, il est essentiel de :
• passer du temps seul avec chaque enfant,
• reconnaître et encourager ce qui fait sa singularité,
• ne jamais les comparer entre eux,
• répartir les responsabilités de manière juste,
• offrir à chacun des attentions adaptées, ressenties comme équitables.
En d’autres termes :
L’amour doit toucher chaque enfant sans que l’un fasse de l’ombre à l’autre.
5. Le message pour les familles d’aujourd’hui
La Torah ne raconte pas l’erreur de Yaakov pour le juger,
mais pour nous offrir un enseignement essentiel :
Un parent ne doit pas seulement aimer ses enfants,
il doit leur faire sentir qu’ils sont aimés.
Les rivalités naissent là où la sécurité affective manque.
L’éducation n’est pas d’aimer pareil,
mais de faire ressentir que chacun est irremplaçable.
Conclusion
L’histoire de Yaakov et Yossef nous rappelle une vérité simple et exigeante :
l’éducation est une tâche difficile.
On n’apprend pas à être parent dans les livres ;
on le devient en avançant, en se trompant, en réajustant.
Même Yaakov, l’un des plus grands patriarches, a trébuché en voulant bien faire.
C’est une façon de nous dire que personne n’est parfait,
et que c’est justement pour cela qu’il est essentiel de s’entourer, d’échanger, d’être accompagné.
Rabbanim, thérapeutes, éducateurs, psychologues, médecins —
tous peuvent aider à éclairer les zones sensibles de la vie familiale.
Parce que grandir seul est difficile.
Grandir accompagné change tout.
Être parent ne s’improvise pas :
cela se construit, cela s’affine,
et cela se nourrit des bonnes personnes autour de soi.
Docteur Gilles Uzzan
Psychiatre – Addictologue
