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LE CHABBAT, UNE PRÉVENTION CONTRE L’ÉPUISEMENT PSYCHIQUE

« D.ieu acheva le septième jour, l’œuvre qu’IL avait faite. » (Béréchit 2,2) Hachem a donc terminé la création du monde, le septième jour, un Chabbat !
Cela paraît surprenant, d’autant plus que la suite du verset précise clairement que D.ieu cessa de créer le septième jour !
Rachi répond à cette question : « Que manquait-il au monde ? Le repos. Quand vint le Chabbat vint le repos, c’est à ce moment-là que le travail de la création fut terminé. Et c’est pourquoi la Torah dit : D.ieu acheva son travail le septième jour et non le sixième.

C’est donc précisément l’arrêt du travail qui donne toute sa signification au Chabbat. Le septième jour D.ieu élève la création du monde de la contrainte matérielle à la liberté spirituelle, dont l’expression est le repos (MENOU’HA).
Le repos du Chabbat donne toute sa valeur et sa dignité au travail des six jours qui le précèdent. Le Chabbat est une victoire sur la servitude, une prévention sur l’addiction au travail et le burn-out. En faisant don du Chabbat, Hachem nous redonne notre liberté et notre dignité.

Chacun, quelle que soit sa position sociale a droit au repos « Chabbatique », ce qui confère de l’égalité pour tous (Rav Elie Munk, Kol Hatora). Hachem a donné le Chabbat aux bné Israël : Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier (CHEMOT,20, 8). C’est le quatrième commandement reçu au SINAÏ.

Rabbi Avraham Ibn Ezra, poète de l’âge d’or espagnol, commentateur de la TORAH et aussi scientifique (XIIème siècle)
déclare son amour pour le Chabbat, dans le fameux chant KI ECHMÉRA CHABBAT qu’il a composé. Nous le chantons à table sur diverses mélodies. Il ressort de ce chant les principes forts du Chabbat : le juif se repose, se délecte de l’étude de la Torah et des repas, s’éloigne des affaires profanes, purifie son cœur et se connecte à l’essence spirituelle du Chabbat (Chants de Chabbat, Torah-Box). Tout un programme de lâcher-prise, imposé par la Torah de façon hebdomadaire, afin de ne pas s’enfoncer dans les affres de la vie. Le Chabbat invite à bannir les soucis économiques, même dans les foyers les plus pauvres.

Il n’a rien à voir avec le repos dominical car même les tâches considérées comme des loisirs : sport, pêche, voyages, jardinage, cinéma, théâtre sont prohibés. Le Chabbat exige une déconnexion totale avec les activités matérielles de ce monde au profit d’un temps spirituel. Et dans ce contexte, même les joies matérielles (repas, promenades, siestes, chants, réunions de famille, rencontres entre amis, …) prennent une connotation spirituelle.

L’alternance travail/repos est aujourd’hui perturbée : les frontières entre l’activité et l’inactivité s’effacent. Impossible de déconnecter, impensable de lâcher prise ! Même sur notre lieu de vacances, on se permet de suivre des dossiers qualifiés « d’importants », de répondre aux mails et aux appels professionnels. On en souffre mais on a du mal à s’abstenir. Le droit à la déconnexion (inscrit pourtant dans le code du travail depuis 2016) se heurte à la conscience professionnelle des salariés qui culpabilisent.

La pression au travail et l’intrusion des nouvelles technologies (ordinateurs, téléphones portables) sont les principales causes de cette sur-sollicitation perpétuelle. La pause «studieuse » remplace la vraie coupure au risque d’un épuisement psychique, le fameux BURN-OUT.

Nous sommes donc de plus en plus envahis par notre gagne-pain lors des moments consacrés au repos. Et la progression des technologies ne nous aide pas : « la boucle WhatsApp est un outil meurtrier pour la paix de l’âme ! » s’exclame un étudiant et salarié à temps partiel d’une start-up, débordé de travail, dans un article consacré au repos dans l’OBS.

Andrew Smart, ingénieur chez Google, s’est intéressé à la question dans son ouvrage « Autopilot, The Art & Science of Doing Nothing », paru en 2013. Il développe, je cite : « Certains réseaux du cerveau deviennent plus actifs quand vous ne faites rien en particulier. Il est très important de laisser arriver ces moments. C’est exactement comme l’exercice physique : si vous marchez pendant une longue période, il faut bien vous arrêter pour prendre du repos. Si vous n’appliquez pas ce principe à votre cerveau, vous étouffez votre créativité, votre connaissance de vous-même. C’est malsain. »

Le Créateur du Monde, le BORÉ OLAM, a montré l’exemple dès le début de l’existence de l’Univers : « Car en six jours l’E-ternel a fait les cieux et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent. Puis il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi l’E-ternel a béni le jour du Chabbat et l’a sanctifié. » (CHEMOT,20,11).

Les technologies sont censées nous faire gagner du temps et pourtant on a l’impression d’être à cours de temps, à tel point qu’on finit par déborder sur nos temps de repos. Hachem a sanctifié le Chabbat, c’est-à-dire qu’IL a consacré (KIDÉCHE), voire sauvegardé un laps de temps pour reposer notre organisme de toute sollicitation matérielle. Un jour «Off» où le matériel (symbolisé par le travail) laisse la place au spirituel.

« Six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage. »(Ibid.20,9). Il n’est certainement pas possible de finir son travail le vendredi car il y a toujours quelque chose à faire. Rachi rapporte une explication de la Mékhilta : « Quand arrive le Chabbat, il doit te sembler que tout ton travail est fait, afin que tu ne penses plus au travail. ». Autrement dit, il faut faire comme si tout le travail de la semaine avait été achevé et ne plus y penser, car le shabbat c’est justement aussi un triomphe sur le temps. En pratiquant le Chabbat, on régénère notre potentiel énergétique et cette force renouvelée  écarte le risque d’un épuisement psychique et finalement nous fait gagner du temps car on est plus endurant.

« Qui veut aller loin ménage sa monture ! ». Ce proverbe provient d’une pièce de Racine : Les Plaideurs. Je trouve qu’il résume bien l’esprit du Chabbat : déconnecter 24 h pour reprendre des forces et poursuivre son travail sans s’épuiser.

J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont transmis la valeur et l’amour du Chabbat. Je me souviens de ces samedis où l’on se retrouvait en famille autour du repas Chabbatique et entre amis à la synagogue.

Le Chabbat est transgénérationnel, il est le garant du socle familial.

Si on veut garder des forces ou des réserves, si on veut atteindre des objectifs élevés ou lointains, dans la dignité et la liberté d’esprit, le Chabbat est pour cela un véritable outil.

 
Dr. Gilles UZZAN
Psychiatre – addictologue