Close

DE LA TORAH À LA SCIENCE : UN SOMMEIL DE RÊVE(S)

Première parution : Actualité Juive du 16 mars 2023
Par le Dr. Jonathan TAÏEB
Secrétaire Général de l’AMIF, Fondateur de l’Institut Médical du Sommeil, Praticien du Centre du Sommeil à l’Hôtel-Dieu

« Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage ». Si j’ai choisi cette citation de Marek Halter, qui paraphrase un célèbre proverbe yiddish, ce n’est pas pour vous parler de beignet (même si j’ai mon avis sur la question). C’est bien parce que les rêves nous fascinent, nous questionnent et constituent, en effet, des voyages – de l’esprit – à part entière.

Si la Science s’y intéresse depuis longtemps, la Torah et le Talmud ne sont pas en reste ; mieux, ils se sont penchés sur la question bien avant nous autres scientifiques. En effet, les rêves et leur interprétation ont eu un rôle majeur dans la destinée de nombreux personnages bibliques juifs ou non juifs : Jacob joseph, pharaon ou encore nabuchodonosor ont tous connu des rêves qui ont marqué leur vie.

Les rêves ont toujours suscité beaucoup d’interrogations chez un grand nombre d’entre nous. Quand rêvons-nous ? Comment rêvons-nous ? Pourquoi rêvons-nous ? Quelle signification y voir ?

Tout d’abord, précisons que les rêves sont des images, des sons, des phénomènes psychiques que le cerveau produit durant le sommeil. Ils interviennent en majorité pendant le sommeil paradoxal, le cinquième et dernier stade d’un cycle de sommeil. Le sommeil paradoxal se caractérise par une activité cérébrale intense, proche de celle produite lors de l’état de veille. Sachez que nous faisons tous de 3 à 6 rêves par nuit et que nous passons environ 25 % de notre temps de sommeil à rêver – et selon certains chercheurs, ce pourcentage pourrait même être nettement plus élevé… !

Dans la Bible (Samuel 28, 6) et le Talmud (Baba Metzia, 107b), il existe la « question rêve » (she’élat halom, en hébreu). Ici, le rêveur atteint un état quasi prophétique pendant son sommeil, et reçoit au réveil une réponse divinement inspirée à une question sur laquelle il méditait juste avant d’aller dormir.

Pour la Science, il existe 4 types de rêves : le rêve dit « typique » (le dormeur fait une chute, vole, perd ses dents, ou est pourchassé), « récurrent » (par essence répétitif, ce rêve peut être une expérience agréable ou pénible, comme le fait d’arriver en retard à un examen pour un étudiant dormeur), « lucide » (le dormeur prend conscience qu’il rêve et peut parfois même maîtriser le déroulé de son rêve) et le « cauchemar » (avec son lot d’émotions négatives des plus intenses, ce qui peut affecter la durée et la qualité du sommeil).

D’un point de vue rabbinique un mauvais rêve était autrefois considéré comme un décret maléfique du ciel. Pour inverser le décret, on exhorte la personne à prier, jeûner, faire la tsédaka, puisque « la charité sauve de la mort ». Rêver que vous perdiez toutes vos dents, que votre maison s’écroulait, que vous priiez au dernier moment du jour de Kippour étaient considérés comme de terribles rêves annonçant une mort imminente. Les rabbins les prenaient tellement au sérieux qu’ils autorisaient même le rêveur à jeûner le jour de Shabbat pour essayer d’inverser le mauvais décret.

Toutefois, selon la Science, il n’existe pas de raison absolue aux rêves. La théorie la plus répandue est que le rêve serait un mécanisme permettant de simuler les évènements menaçants et finalement de mettre à l’essai les moyens possibles dont on dispose pour les éviter ou y survivre. Ainsi, les rêves auraient contribué au succès de nos ancêtres sur le plan de la survie et de la reproduction en renforçant leurs compétences sociales pendant leur temps de sommeil.

Dans le prolongement de cette théorie, on arrive au deuxième rôle possible du rêve :  la régulation des émotions. Autrement dit, les rêves seraient une forme de thérapie nocturne qui aiderait à absorber et à intégrer les expériences émotionnelles personnelles, surtout négatives, dans la sécurité du sommeil.

En dernier lieu, les rêves aideraient à résoudre certaines problématiques, débouchant sur des découvertes, des inventions ou des œuvres d’art (Larry Page qui a fondé Google ou Albert Einstein et la découverte de sa fameuse théorie de la relativité, ont tous deux évoqué leurs rêves comme point de départ de leurs réalisations).

Enfin, tordons définitivement le cou – sur l’oreiller – à une idée reçue : le scénario d’un rêve n’a aujourd’hui pas de signification prouvée scientifiquement. Si Sigmund Freud et d’autres – avant et après lui – y accordaient une importance considérable, force est de constater que la Science n’a pas encore tranché ! Non, rêver de perdre ses dents ne signifie pas éprouver la crainte d’une mort prochaine. En revanche, gageons qu’un sommeil fait de rêves agréables et récurrents, constitue un sommeil de meilleure qualité et davantage réparateur, que celui entrecoupé de cauchemars et donc de réveils nocturnes.

Dans le Talmud babylonien, c’est une toute autre musique : le Rav Chisda (ou Hisda) considère que les rêves sont des messages codés qui sont sujet à interprétation. Pour lui, les rêves sont des messages adressés du soi au moi, de l’inconscient au conscient. Il est donc essentiel d’analyser et de comprendre les rêves que nous faisons : « un rêve qui n’est pas interprété est comme une lettre qui n’est pas lue » affirme-t-il.

En tout cas, si vous êtes arrivé(e) jusque-là, c’est que cet article – lui au moins – vous l’avez lu. Faîtes de beaux rêves !