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Militaires et forces de l’ordre : un sommeil d’élite

Par le Dr. Jonathan TAÏEB
Secrétaire Général de l’AMIF, Fondateur de l’Institut Médical du Sommeil, Praticien du Centre du Sommeil à l’Hôtel-Dieu

« Le mécanisme de la guerre se borne à deux choses, se battre et dormir ; user et réparer ses forces ».

Antoine Fortuné de Brack. Général et théoricien militaire Français, né quelques semaines avant la révolution de 1789 et mort le 21 janvier 1850.

Cette citation de l’un des plus éminents élèves de Saint-Cyr, soldat de Napoléon lors de la bataille de Wagram, décoré de la Légion d’Honneur pour son attitude homérique sur le champ de bataille, trouve – aujourd’hui encore – un plein écho quant à l’importance du sommeil et du repos chez les forces de l’ordre et les corps des Armées.

En OPEX (opérations extérieures), les militaires et autres forces spéciales doivent faire preuve d’une vigilance et d’un discernement à chaque instant. Ce qui passe avant tout par un bon sommeil.

Mais comment alors, nos militaires parviennent-ils à trouver le sommeil à des milliers de kilomètres de leur lit douillet ?

Ce sujet est clé. A titre d’exemple, consciente de l’intérêt à porter au sommeil des soldats de Tsahal, l’armée israélienne a récemment instauré la nuit de 7 heures de sommeil consécutives, soit une augmentation d’une heure (+15%) par rapport à la précédente réglementation…

Quant aux Marines, célèbre branche armée des forces américaines, ils ont mis en œuvre une technique censée permettre de s’endormir en deux minutes chrono. Détaillée en 1981 par un entraîneur sportif américain, Lloyd « Bud » Winter, dans son livre Relax and Win : Championship Performance in Whatever You Do, cette technique est simple et basée sur le relâchement et la respiration. Elle se décompose en quatre étapes :

  1. Allongez-vous et détendez les muscles de votre visage, y compris la langue, la mâchoire et les muscles autour des yeux.
  2. Relâchez vos épaules en les abaissant le plus possible. Détendez chaque bras, en les bougeant de haut en bas, l’un après l’autre.
  3. Expirez, détendez les muscles de votre torse, puis de vos jambes, en commençant par les cuisses, les mollets puis les pieds.
  4. Videz votre esprit pendant dix secondes. Imaginez-vous soit allongé dans un canoë sur un lac avec rien d’autre qu’un ciel bleu clair au-dessus de vous, ou bien étendu dans un hamac en velours noir dans une chambre noire. Autre solution : se répéter « ne pense à rien, ne pense à rien, ne pense à rien » pendant dix secondes.

Alors à vous de jouer ! Et si j’étais vous, je testerai cette méthode dès ce soir car elle serait efficace dans 96 % des cas après six semaines de pratique ! Vous me remercierez plus tard.

Mais rassurez-vous, nul besoin d’aller outre-Atlantique pour trouver des sources d’inspiration (et de sommeil) : en France, nous ne sommes pas en reste pour autant…

L’IRBA, l’Institut de recherche biomédicale des armées, se situe également en première ligne pour défendre le sommeil des militaires. Mon collègue, le Dr. Mounir Chennaoui, chercheur et Chef de l’unité fatigue et vigilance de l’IRBA, met à disposition des forces armées plusieurs techniques pour récupérer de longues journées sur le qui-vive :

  1. La préparation des futures périodes de sommeil dégradé en allongeant de 30 à 60 minutes les durées de sommeil précédant une opération : des études menées par les chercheurs de l’IRBA sur des volontaires sains ont montré un effet bénéfique de cette pratique sur le système immunitaire et sur la réponse hormonale à la privation de sommeil ;
  2. La mise en œuvre de siestes opérationnelles, les chercheurs de l’IRBA préconisant la restauration de l’attention et de la concentration à l’aide de siestes « optimisées ». En d’autres termes, les siestes ne s’improvisent pas ! Elles se préparent et s’organisent, de préférence juste après le déjeuner pour une durée comprise entre 15 et 30 minutes ;
  3. L’activité physique pour améliorer significativement la qualité du sommeil après l’effort.

Mais les militaires ne sont pas les seuls à avoir besoin de sommeil dans le cadre de leurs opérations… Il en va de même pour les policiers ! A ce sujet, j’ai eu la chance et l’opportunité de beaucoup échanger avec mon ami, le Dr. Olivier Lamour, ancien médecin chef du raid pendant 19 ans. Son constat est sans appel : le sommeil est primordial et essentiel pour les forces de l’ordre…et le maintien de l’ordre !

Une étude américaine, publiée sur le site de l’Académie américaine du sommeil, et officiellement présentée lors du Congrès du sommeil « SLEEP 2016 » qui s’est tenue à Denver (Etats-Unis), abonde en ce sens. Menée pendant trois ans auprès d’une cinquantaine d’officiers expérimentés, travaillant soit de manière fractionnée (selon la règle des « trois huits »), soit de manière plus stable, que ce soit de jour ou de nuit, cette étude s’est intéressée aux liens entre les interactions sociales de ces policiers et leur fatigue éventuelle. Le résultat est sans appel : les réactions peu adaptées, moins efficaces et même parfois violentes, susceptibles de dégénérer en bavures,  étaient bien plus fréquentes dans le groupe de ceux qui dormaient de manière fractionnée…

Alors, chers lecteurs, vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire pour rester vigilants et faire preuve de davantage de discernement : respecter votre sommeil autant que vous respectez la loi… !