PESSA’H 2023 : À LA DÉCOUVERTE DE L’HISTOIRE, DU PATRIMOINE ET DES LIEUX JUIFS À PARIS
Article issu de la newsletter de l’INSSEF (Institut Européen du Monde Séfarade)
Synagogues, monuments, cimetières, restaurants et épiceries, autant de témoins de la présence de la communauté juive à Paris depuis des siècles. Longtemps, la vie des Juifs dans la capitale fut liée au bon vouloir du souverain en place, et alterna entre périodes d’accalmie et phases de sévère répression. À l’occasion de Pessa’h 2023, partons à la découverte du patrimoine et des lieux juifs de Paris, non sans revenir sur l’histoire des Juifs parisiens.
A l’occasion de Pessa’h, du 5 au 13 avril 2023, revenons sur l’Histoire de la communauté juive à Paris, longtemps soumise à l’approbation ou à l’opprobre du souverain en place, et partons à la découverte du patrimoine et des lieux juifs de la capitale.
Une manière de se rendre compte de la présence des Juifs dans la capitale dès le début du Moyen-Âge, attestée par des textes et l’édification de monuments dont certains sont encore visibles aujourd’hui, et de passer le seuil de lieux porteurs d’Histoire(s) et marqués d’une grande richesse culturelle et patrimoniale.
Histoire de la Grande Synagogue de Paris
Arrivés à Paris vers 465 après qu’un décret de Varenne leur a retiré certains droits, les Juifs s’installent dans la capitale. Une rue de l’Ile de la Cité menant directement au château royal est même renommée rue de la Juiverie, et la première synagogue parisienne, aujourd’hui disparue, est construite en 582. Les Juifs de Paris vivent alors en bonne entente avec leurs voisins, et pratiquent leur religion en toute liberté. Mais alors que la frontière entre l’Eglise et la royauté devient de plus en plus poreuse, le sort des Juifs de Paris se détériore. Sous le règne des derniers Mérovingiens, le « bon » roi Dagobert 1er leur ordonne de se convertir ou de quitter la capitale ; nombreux sont ceux qui choisissent de quitter les lieux. Par la suite, durant deux siècles, entre 751 et 967, les tensions s’apaisent durablement grâce au concours des Carolingiens, en particulier de Charlemagne, Charles II « le Chauve » et Louis Ier « le Pieux ».
Charlemagne reçoit Alcuin, en 781, par Jules Laure (1837)
Durant les règnes de Louis VI « le Gros » et Louis VII « le Jeune », la population juive parisienne augmente à nouveau ; ils s’installent à Paris, aux Champeaux, mais aussi en banlieue, à Villejuif, et disposent de deux synagogues, celle rue de la Juiverie et une seconde rue de la Tacherie, ainsi que de deux cimetières. Enviés par une partie des Parisiens et alors qu’un mouvement anti-juif se dessine, les Juifs sont arrêtés sur ordre du souverain Philippe II Auguste dès que celui-ci prend la succession de son père, Louis VII, sur le trône de France.
Expulsés, spoliés de leurs biens, de leurs terres et de leurs maisons, frappés d’un lourd tribut, les Juifs sont priés de quitter Paris dès 1182. La synagogue de la rue de la Juiverie est offerte par le roi à l’Archevêque de Paris et transformée en l’église Sainte-Marie-Madeleine-en-la-Cité. Avec les sommes obtenues par la vente des maisons juives, le roi fait construire le donjon du château de Vincennes, tandis qu’à l’emplacement de l’ancien quartier des Champeaux, Philippe II fait édifier un marché qui deviendra, par la suite, les anciennes Halles de Paris.
Mais en 1198, les finances de l’Etat sont au plus bas, et le souverain enjoint aux Juifs, qui contribuent à la prospérité économique du royaume, de revenir vivre et surtout travailler à Paris. Pour retrouver leur droits, leurs activités et leurs lieux de culte – la synagogue de la rue de la Tacherie leur est rendue et une nouvelle est érigée dans le 4e arrondissement – , l’administration va même jusqu’à leur ordonner de signer un engagement, leur faisant promettre de ne plus jamais quitter la capitale. Dès lors, ils s’établissent dans la rue des Rosiers ; ainsi que Rive gauche, entre la rue de la Harpe et le boulevard Saint-Germain – où des travaux mirent à jour, au siècle dernier, des vestiges d’un important cimetière juif médiéval.
Expulsion des Juifs portant la rouelle en 1182. Miniature des Grandes Chroniques de France
Mais l’Histoire des Juifs à Paris est marquée de hauts et de bas, de périodes d’accalmie et de persécutions, et sous le règne de Louis VIII « le Lion » et de Louis IX dit Saint-Louis, ces supplices reprennent. Le souverain souhaite pousser à tout prix les Juifs de Paris à la conversion, et leur impose, par un décret paru le 12 juin 1269, le port de la rouelle, une petite pièce d’étoffe distinctive. Le 6 juin 1242, « le bon » Saint-Louis fait brûler tous les exemplaires du Talmud trouvés dans la capitale, en place de Grève.
Les décennies et les siècles suivants oscillent à nouveau entre répression et apaisement. Sous le règne de Philippe III « le Hardi » et Marguerite de Provence, de 1270 à 1285, une trêve fait espérer une fin définitive des conflits. Mais ceux-ci reprennent de plus belle sous Philippe IV « le Bel », et un nouveau décret, paru le 22 juillet 1306, ordonne l’expulsion de tous les Juifs de France. Ceux qui ne se convertissent pas sont tués sur le champ. Sous Philippe V « le Long », alors qu’on leur reproche toutes les maladies, mais aussi l’empoisonnement des puits, des centaines de Juifs sont brûlés sur le bûcher.
Pessa’h : L’histoire, le patrimoine et les lieux juifs de Paris
Après une accalmie de près de 30 ans, les persécutions reprennent en 1381, et Charles VI « le Fou » décide une nouvelle fois, sous la pression de nombreux prêtres, que les derniers Juifs encore présents doivent quitter Paris. A nouveau, leurs biens sont pillés et les réticents au départ et à la conversion sont massacrés. Il faudra attendre quatre siècles, à l’époque des Lumières, pour que les Juifs soient à nouveau tolérés dans la capitale. Au 18e siècle, les Juifs de rite portugais et avignonnais s’installent du côté de Saint-Germain-des-Prés, tandis que les Juifs allemands se regroupent plutôt dans le quartier du Temple. Pour autant, ceux-ci sont toujours soumis à des restrictions de commerce et de culte.
La Révolution française permet, grâce à une lente évolution des idées et des pensées, une transformation conséquente de la situation des Juifs en France et à Paris, et ceux-ci bénéficient de réformes, entamées à la veille de la prise de la Bastille à la demande de Louis XVI, qui leur sont favorables. Sous le règne de l’Empereur Napoléon, les premiers consistoires sont créés, et les grandes synagogues parisiennes sont construites au 19e siècle.
Entre 1880 et 1940, 100 000 Juifs, fuyant les pogroms, arrivent d’Europe de l’Est et se réinstallent rue des Rosiers, dans le quartier Saint-Gervais et autour de la place Saint-Paul. Le Marais tire d’ailleurs de ce fait un surnom, le Pletzl « petite place » en yiddish. Les siècles suivants sont marqués par des épisodes traumatiques, l’affaire Dreyfus, porte-étendard du nouveau visage de l’antisémitisme, les déportations, la Rafle du Vel d’Hiv, avec comme sinistre point d’orgue, la Shoah.
Histoire de la Synagogue de la Rue Pavée – Agoudas Hakehilos
Après la tragédie de la Shoah, les quartiers juifs de Paris comme le Marais, mais aussi les 11e, 19e et 20 arrondissements sont vidés de leurs habitants. Il faudra attendre les années 60 et l’arrivée des Juifs séfarades en France pour que ces quartiers et ces rues reprennent vie. De nos jours, le quartier du Marais, qui s’étend rue des Rosiers et dans les rues avoisinantes, est le plus célèbre quartier juif de la capitale.
Certaines des plus belles synagogues de Paris y ont été édifiées, comme la synagogue de la rue Pavée, signée Hector Guimard – à qui l’on doit les plus fameuses entrées de métro parisien – ou encore la synagogue des Tournelles à deux pas de la place des Vosges. D’autres synagogues, comme la synagogue Buffault et la grande synagogue de Paris dans le 9e arrondissement, ainsi que la synagogue Nazareth dans le 3e arrondissement méritent, elles aussi, un arrêt prolongé.
Les gourmands ne manqueront pas, quant à eux, de faire un tour dans les boulangeries et pâtisseries juives du Marais, afin de croquer un rugelach au pavot, ou bien d’emporter un sandwich aux falafels dans l’une des échoppes du quartier. Attention cependant, le samedi, toutes ces boutiques sont fermées pour shabbat, le jour de repos hebdomadaire.
Histoire de Paris : le Cloître des Billettes, le dernier cloître médiéval de Paris
La découverte du patrimoine juif de Paris continue ensuite au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, dans le Marais toujours. Installé dans l’hôtel particulier de Saint-Aignan datant du 17e siècle, le musée présente des œuvres d’art modernes et contemporaines et une importante collection témoignant des moments clés de l’histoire juive, du Moyen Age au 20e siècle, à travers des manuscrits, des objets de culte, des textiles et des documents sur l’art et l’histoire. A quelques pas de là, rue des Archives, se trouve le Cloître des Billettes, où se tint, un jour de 1290, la légende de « Jonathas le Juif » qui fut exécuté en place de Grève.
Impossible de ne pas évoquer le Memorial de la Shoah, un musée consacré à l’histoire juive durant la Seconde Guerre mondiale et dont l’axe central est l’enseignement de la Shoah, ainsi que son Mur des Noms, qui commémore les 75 568 juifs français et étrangers déportés de France ; le Mémorial des Martyrs de la Déportation, sur l’Île de la Cité, dédié au souvenir de l’ensemble des déportés de France entre 1941 et 1944 ; ou encore la plaque commémorative de la Rafle du Vel d’Hiv, située sur la place des Martyrs Juifs du Vélodrome d’Hiver, dans le 15e arrondissement.
Enfin, pour terminer cette découverte du patrimoine juif de Paris, pourquoi ne pas aller se recueillir dans les cimetières parisiens, au cimetière du Père-Lachaise, au cimetière du Montparnasse et au cimetière de Montmartre, mais également dans le cimetière portugais de la rue de Flandre, moins connu que les précédents, où furent enterrés les juifs clandestins de Paris, suivant les requêtes du souverain – de nuit, dans le silence et sans office. Pour cela, il faudra compter sur votre chance et tomber sur un riverain ; situé dans une cour d’immeuble, il est en effet inaccessible aux passants.