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«Rappelons-nous: il fut un temps où on accusait les médecins d’être trop nombreux!» (FigaroVox du 7 juillet 2022)

Par le Dr. Murielle Mollo, Médecin Vasculaire (Aix-en-Provence)

Le rapport de la mission « flash » commandé par Emmanuel Macron préconise, entre autres mesures, une régulation téléphonique pour accéder aux urgences, afin d’éviter l’engorgement inutile des services. Or, cette proposition ne peut représenter une solution ni pérenne, ni sécurisante pour les patients: tout d’abord parce qu’un diagnostic par téléphone peut parfois conduire à des erreurs médicales et à des situations délétères, mais aussi parce que, dans le cas où les patients seraient refoulés, une prise en charge alternative efficace devrait leur être proposée. Or, la pénurie ne touche pas uniquement les services d’urgence, mais bien toute la chaine de soins. Et le patient de devenir une boule de flipper, renvoyé ici et là, sans trouver de point de chute où résoudre son problème.

Car au-delà des résultats de cette mission « flash », on peut se demander pourquoi les gouvernements successifs ont attendu aussi longtemps avant d’entreprendre une réforme en profondeur d’un système de santé, à l’époque l’un des plus performants du monde, mais qui désormais s’effondre, alors que tant d’indices le laissaient présager depuis de si nombreuses années. Pourquoi ne pas avoir anticipé la crise actuelle, sans attendre de nous retrouver au pied du mur ? La nomination de François Braun, qui était en charge de cette mission «flash», au poste de ministre de la Santé interroge quant à la possibilité d’une telle réforme.

Souvenons-nous, il fut un temps où l’offre de soin couvrait amplement les besoins sanitaires de la population ! Au point qu’on en vint à accuser ces trop nombreux médecins en exercice d’être responsables du déficit de la Sécurité sociale, par la quantité pléthorique d’actes qu’ils généraient.

D’où l’idée saugrenue qui germa dans les têtes bien-pensantes de nos ministres de tutelle : il fallait réduire le nombre de soignants pour réduire les dépenses de santé !

Ce raisonnement simpliste oubliait de prendre en compte d’autres facteurs qui pesaient au moins aussi lourd dans la balance comptable: le «trou de la Sécu» n’était pas tant dû à un excès de dépenses, qu’à un déficit de recettes. Surtout, nos éminences grises avaient omis les critères démographiques et ses projections à plus long terme, en sachant que la formation d’un médecin dure environ dix ans.

Voilà pourquoi aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une situation qui, du fait de la pénurie médicale croissante, met en péril de façon dramatique la santé de la population. À ce jour, près de la moitié des établissements hospitaliers français se voient dans l’obligation de fermer de façon itérative les portes de leurs services d’urgences, faute de personnel soignant.

Et la situation de la médecine de ville n’est pas plus enviable: les patients peinent à trouver un médecin référent et attendent de nombreux mois leur rendez-vous chez un spécialiste.

Ces carences entraînent une perte de chance pour les patients qui, à défaut d’être vus rapidement par un médecin, seront mal ou non soignés.

Face à ce constat, il est légitime de s’interroger sur les erreurs passées de nos gouvernants: auraient-ils négligé dans leurs calculs certains facteurs qui leur auraient permis de déterminer avec davantage d’acuité les besoins en professionnels de santé ?

En voici quelques-uns: une médecine de plus en plus technique et hyperspécialisée, qui a l’avantage d’offrir une palette de soins plus large à la faveur des patients, mais qui nécessite plus de praticiens formés en ce sens pour pouvoir la pratiquer. La pyramide des âges et la génération des baby-boomers: soixante-dix ans plus tard, ils sont devenus du fait de leur âge, de plus grands consommateurs de soins médicaux. Cette même génération a fourni également de nombreux professionnels de santé désormais en âge de prendre leur retraite. La féminisation de la profession: outre leurs maternités, les femmes assument plus souvent que les hommes les tâches familiales, en aménageant leur temps de travail pour se consacrer à leurs enfants. Ceci n’est pas un propos sexiste, étant moi-même une femme médecin et mère de deux enfants.

De jeunes médecins formés, faut-il le rappeler, aux frais de l’État, mais qui une fois leurs études terminées, ne veulent pas exercer ni à l’hôpital, ni en libéral. Ils préfèrent se contenter d’assurer quelques jours par mois de remplacements ou de gardes intérimaires. N’est-il pas étonnant de constater que seuls 10% des jeunes médecins s’installent en libéral ? Quant aux postes non pourvus dans les hôpitaux, on les compte par centaines. Les droits acquis par les jeunes internes, comme le repos compensateur après une garde, ou un nombre maximum de trois gardes mensuelles: ces avancées sociales sont les bienvenues, mais contribuent à accentuer la pénurie.

La crise du Covid-19, qui a épuisé les soignants au point d’en inciter beaucoup à changer de métier ou à prendre leur retraite prématurément.

Brandir la menace de mesures coercitives visant à obliger les jeunes médecins à s’installer en zones sous-dotées n’est plus d’actualité. Si cette opposition zones sous-dotées/zones surdotées était encore vraie voilà seulement 5 ans, elle est désormais dépassée: en France (métropole et outre-mer), il n’y a plus que des zones sous-dotées.

Le creux de la vague en termes de pénurie n’est pas encore atteint et la situation va continuer de s’aggraver jusqu’aux alentours de 2030, avant d’amorcer une lente amélioration… à moins que ne surgisse d’ici là une nouvelle crise sanitaire qui pourrait encore aggraver les choses.

Il devient donc urgent de nous pencher sur ces différentes causes ayant conduit à la situation critique que nous traversons et ne pas seulement proposer des «solutions-pansements».

Pour stopper cette hémorragie et maintenir un niveau sanitaire correct sur tous nos territoires et auprès de tous nos concitoyens, il faut agir vite: prendre les mesures qui conviennent pour former en nombre, rémunérer correctement et motiver suffisamment les professionnels de santé, afin qu’ils puissent assumer leur rôle de service public.