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Le cannabis peut-il aider à traiter le cancer ?

Article issu de la newsletter du Technion France (en savoir plus : Technion France)

Utopie ? Fantasme ? Et pourtant…

Depuis une vingtaine d’années, une poignée de scientifiques du monde entier étudient les propriétés antitumorales du cannabis ou, plus précisément, les propriétés antitumorales potentielles des différents cannabinoïdes, autrement dit des composés distincts présents dans la plante de cannabis.

Les restrictions légales aux États-Unis et ailleurs dans le monde ont paradoxalement stimulé la recherche sur le cannabis, bien que ces obstacles aient commencé à se fissurer au cours des dernières décennies.

Israël, dont la recherche médicale sur le cannabis est beaucoup plus ancienne et a fortiori beaucoup plus solide, a également connu des avancées majeures dans ce domaine. Ces découvertes, conjuguées aux recherches menées à travers le monde, laissent entrevoir un avenir prometteur, quoique complexe, pour les cannabinoïdes et les traitements anticancéreux.

Babak Baban, immunologiste (ou immunologue) au sein de l’Université d’Augusta (Géorgie, Etats-Unis), a passé des années à étudier les applications thérapeutiques potentielles du cannabinoïde CBD, également appelé cannabidiol et désormais en vente libre dans plusieurs pays dont la France.

« En tant qu’immunologiste, je m’intéresse naturellement à tout composé susceptible d’avoir un impact sur le système immunitaire, la santé et les maladies », explique-t-il au site web Inverse, rappelant que le cannabis est utilisé à des fins médicales depuis des milliers d’années. « Cependant, les mécanismes responsables de ces effets ne sont pas encore connus. En outre, il existe de nombreuses autres maladies pour lesquelles le CBD pourrait être un traitement efficace, ce qui justifie des études plus approfondies sur ce composé » poursuit-il.

BRÈVE HISTOIRE DU CANNABIS MÉDICAL

Dès 2737 avant J.-C., l’empereur chinois Shen Neng prescrivait du thé de marijuana pour traiter la goutte, les rhumatismes et le paludisme. C’est alors que la plante a commencé à être utilisée dans toute l’Asie et s’est répandue jusqu’au Moyen-Orient et en Inde.

À la fin du XVIIIe siècle, les professionnels de santé faisaient état des propriétés thérapeutiques du CBD dans les revues médicales américaines, bien que le terme « cannabidiol » ne soit apparu que plus tard, dans le courant du XXe siècle.

Les médecins recommandaient à l’époque d’utiliser les graines et les racines de chanvre pour traiter les inflammations de la peau, s’appuyant sur les propriétés anti-inflammatoires du CBD. Selon une étude historique publiée dans le Journal of Clinical Neuroscience, un médecin de la compagnie britannique des Indes orientales, William O’Shaughnessy, a popularisé le cannabis comme traitement des douleurs rhumatismales et comme tonique contre les nausées causées par la rage, le tétanos et le choléra. Rien que ça !

En 1909, le gouvernement des États-Unis fonda la Food and Drug Administration et commença à étudier davantage les médicaments… Résultat : en 1937, 23 États avaient interdit cette drogue !

Puis, en 1996, la Californie a légalisé l’usage médical du cannabis, malgré son interdiction au niveau fédéral. D’autres États lui ont depuis emboîté le pas, ouvrant des perspectives de recherche qui avaient été ignorées ou reléguées pendant des décennies.

COMMENT LE SYSTÈME ENDOCANNABINOÏDE (SCE) FONCTIONNE CHEZ L’HOMME

Aujourd’hui, les chercheurs tentent encore de déterminer avec précision le mécanisme par lequel les différents cannabinoïdes pourraient inhiber la croissance tumorale ou aider au traitement du cancer, mais le système endocannabinoïde joue probablement un rôle majeur. Le système endocannabinoïde est un réseau de récepteurs que possèdent tous les mammifères et qui se lient aux endocannabinoïdes – des molécules semblables aux cannabinoïdes qui sont naturellement produites par l’organisme – ou aux cannabinoïdes provenant du cannabis. Le SCE aide à réguler de nombreux mécanismes corporels, y compris les réponses inflammatoires et le contrôle de la douleur.

« Les cannabinoïdes tels que le CBD modulent des voies cellulaires essentielles par l’intermédiaire du système endocannabinoïde, un système biologique très répandu qui influence chaque cellule de l’organisme. C’est pourquoi ces molécules peuvent influer sur différents aspects du cancer », explique le Docteur Dedi Meiri, Directeur d’un laboratoire de Recherche sur le cannabis médical au sein du Technion. « La plante de cannabis possède plus de 160 cannabinoïdes actifs, dont le CBD n’en est qu’un seul parmi tant d’autres… Dans l’une de nos études sur la leucémie, le CBD est l’un des composants d’une combinaison de trois molécules qui travaillent ensemble pour exercer des effets antitumoraux », ajoute-t-il.

LE CBD PEUT-IL AIDER À TRAITER LE CANCER ?

Plusieurs études réalisées ces dernières années suggèrent que le CBD pourrait inhiber la croissance du cancer. Par exemple, Babak Baban et ses collègues ont testé les effets du CBD sur des souris atteintes de glioblastome, une forme avancée de cancer du cerveau, et sur des souris atteintes de mélanome. Dans les deux cas, les chercheurs ont constaté que les tumeurs se réduisaient de 40 à 60% après les traitements au CBD par rapport aux alternatives testées en laboratoire. En plus de réduire la progression des tumeurs, le CBD semble « normaliser d’autres conditions pathologiques », comme l’amélioration des réponses immunitaires. Par exemple, certains cancers se protègent contre les attaques en amenant le système immunitaire à stimuler ce que l’on appelle les « cibles du point de contrôle immunitaire ».

Dans des circonstances normales, ces protéines empêchent le système immunitaire de réagir de manière excessive à un envahisseur étranger ; cette réaction excessive peut endommager les cellules et les tissus sains. Mais elles peuvent également empêcher le système immunitaire d’attaquer les cellules cancéreuses. Les travaux du Docteur Baban suggèrent que le CBD pourrait empêcher certains points de contrôle immunitaires d’être stimulés par les cellules cancéreuses, permettant ainsi au système immunitaire de mieux attaquer les cellules cancéreuses.

LE CBD N’EST PAS LE SEUL CANNABINOÏDE PROMETTEUR

Une étude de 2014 publiée dans la revue Molecular Cancer Therapy a montré qu’en utilisant le CBD et le THC ensemble contre des lignées cellulaires de gliome in vitro, on pouvait avoir recours à des concentrations plus faibles des deux cannabinoïdes pour tuer efficacement les lignées cellulaires de gliome que l’un ou l’autre des cannabinoïdes pris isolément.

Les chercheurs ont testé la même combinaison sur des souris atteintes d’un gliome très développé et ont constaté que l’association des deux cannabinoïdes et de l’irradiation réduisait les tumeurs des souris : au 21ème jour, les souris ayant reçu une combinaison de THC et de CBD simultanément à une irradiation, avaient vu la taille de leur tumeur diminuer de manière significative par rapport à l’un ou l’autre des cannabinoïdes utilisé seul, et encore plus par rapport au groupe de contrôle, dans lequel seule une irradiation avait été administrée.

Le laboratoire de Dedi Meiri au sein du Technion Israel Institute of Technology étudie la biologie du cancer et le potentiel thérapeutique des métabolites naturels provenant de diverses espèces de cannabis et d’autres sources végétales. Ses équipes ont notamment découvert que certaines combinaisons de cannabinoïdes pouvaient avoir des propriétés anticancéreuses dans certains cancers leucémiques, dans les cancers du sein à récepteurs d’œstrogènes positifs et dans les cancers immunogènes, c’est-à-dire les cancers qui peuvent déclencher une réponse immunitaire.

Leurs recherches indiquent que le cannabis n’est pas un « remède » contre le cancer, mais que « différents composants de la plante peuvent avoir un effet sur certains cancers », souligne le Dr. Meiri.

« De cette manière, le cannabis peut aider à combattre le cancer, non seulement en touchant directement les cellules cancéreuses, mais aussi en modifiant la réponse immunitaire et l’écosystème de la tumeur », poursuit-il. « La combinaison d’un traitement conventionnel et du cannabis est parfois bénéfique, parfois néfaste, tout dépend du type de cannabis, d’une part, et du type de cancer, d’autre part ».

Enfin, il convient de préciser que très peu de ces travaux de recherche ont été menés dans le cadre d’essais cliniques humains ; la plupart de ces études sont réalisées in vitro ou sur des animaux. Il réside donc encore un long chemin pour associer notre compréhension actuelle de la thérapie cannabinoïde et les traitements existants. La rapidité avec laquelle nous franchirons cette étape dépend de nombreux facteurs, tels le statut juridique du cannabis et le financement de la Recherche qui l’entoure.