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CHAMBRE A PART : LE DIVORCE DU SOMMEIL N’EST PAS LE DIVORCE DU COUPLE

Par le Dr. Jonathan TAÏEB
Secrétaire Général de l’AMIF, Fondateur de l’Institut Médical du Sommeil, Praticien du Centre du Sommeil à l’Hôtel-Dieu

Amal et George Clooney, la Reine Elizabeth II et le Prince Philip, Donald et Melania Trump…

Le point commun entre ces couples ? Tous ont décidé de faire chambre à part…pour le bien de leur sommeil. Et aucun d’entre eux n’a divorcé…au 25 janvier 2023 (note à moi-même : certains articles peuvent moins bien vieillir que d’autres avec le temps).

Si dans l’imaginaire collectif, faire chambre à part est souvent synonyme de problèmes de couple – ou à l’inverse de choix de vie afin de faire durer le désir au sein de celui-ci – il est surtout clair que partager son lit, c’est également partager ses troubles du sommeil. Ronflements, cauchemars et terreurs nocturnes, mouvements de jambes, insomnie, horaires décalés et j’en passe.

Qui d’entre nous ne s’est jamais plaint de son partenaire au lit ? Aux esprits mal placés : je parle ici de Monsieur qui prend toute la place dans le lit ou de Madame qui lance sans prévenir un monopole sur la couette en pleine nuit.

De ce que j’observe au quotidien chez mes patients que je reçois au sein de l’Institut Médical du Sommeil ou à l’Hôtel-Dieu de Paris, la raison la plus fréquente pour faire chambre à part sont les ronflements. Suivis de près par le mouvement périodique des jambes qui fractionne et altère le sommeil de l’autre, l’insomnie qui parasite le sommeil de son partenaire par son activité nocturne, sans oublier les parasomnies tels le somnambulisme ou les cauchemars.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, régulièrement, j’assiste à la même scène en consultation : un(e) patient(e) souffrant de troubles du sommeil, que nous appellerons ici « le responsable », est accompagné(e) par son partenaire, « la victime », qui subit les troubles du sommeil de son conjoint… Figurez-vous, que dans la majeure partie des cas, j’ai l’impression que le responsable est littéralement escorté par sa victime jusqu’à mon cabinet, au point que les victimes répondent à mes questions à la place des responsables et, in fine, témoignent de leurs propres souffrances dont les responsables ne sont pas toujours conscients.

Evidemment, il n’y a pas de réels responsables ici, encore moins de coupables ; mais en revanche on déplore de nombreuses victimes…

On me pose alors souvent la question fatidique : « Docteur, pensez-vous que nous devrions faire chambre à part ? ». Au risque de vous décevoir, il n’y a pas de réponse unique car chaque situation est complexe et mérite une approche personnalisée pour le bien du sommeil…et celui du couple.

Dormir ensemble est aujourd’hui la norme et présente notamment un atout non négligeable, celui de libérer des endorphines (évitez de demander aux célibataires ce qu’ils en pensent). En outre, dormir à deux constitue une des étapes structurantes d’une relation : intimité, confiance, partage, échange…

En France, la cohabitation nocturne reste un choix largement majoritaire, seulement 10% des couples faisant chambre à part et 16% des Français ne se reconnaissant pas dans « le modèle dominant » du couple dormant dans la même pièce, selon les résultats d’une étude IFOP. A l’inverse, nos voisins britanniques plébiscitent de plus en plus la chambre à part : la proportion des « divorcés du sommeil » a doublé en dix ans, passant de 7 à 15%, selon une étude relayée par le Telegraph en juin dernier. Après le Brexit, place au Bedxit !

Dormir à deux n’a, en réalité, rien d’une évidence.

D’abord dans l’Histoire : même si le lit conjugal existe depuis longtemps (Ulysse y retrouvait Pénélope lorsqu’il rentrait de son Odyssée), il ne sert pas vraiment à dormir ensemble (appartement des femmes, gynécée, harem). C’est finalement l’Église catholique qui va l’imposer à la fin du 18ème siècle.

Ensuite par la pratique : passer d’un lit 1 place de 90cm à un lit 2 places de 160cm, c’est perdre plus de 10% de son espace vital et partager une couette que l’on avait jusqu’alors rien que pour soi ! Ainsi, si ce n’est pas (encore) la norme en France, faire « couette et matelas à part » est légion dans d’autres pays, notamment en Suisse, en Allemagne ou au Danemark.

En conclusion, la chambre à part semble bonne pour le sommeil mais est rarement désirée par les amoureux. Par ailleurs, elle n’est pas accessible à tous, ne serait-ce que d’un point de vue strictement financier. En revanche, faire « couette et matelas à part » semble être un bon compromis, qui peut s’inviter bien plus aisément dans nos couchettes. Ce choix permet en effet de garder le positif du lit commun (la présence de l’autre) tout en atténuant le négatif (le mauvais sommeil). De quoi se réconcilier…sur l’oreiller !