
Maimonide et l’art de bien manger : une sagesse validée neuf siècles plus tard
Imaginez-vous à table, au XIIᵉ siècle. Pas de réfrigérateur, pas de nutritionnistes. Manger beaucoup est perçu comme un signe de force et de prospérité. Pourtant, dans ce contexte, un médecin juif, Moïse Maimonide (1138-1204), ose un discours de tempérance. Dans son Régime de santé, il ne parle ni d’abondance, ni de festins : il recommande modération, mesure et adaptation.
L’étude de A. R. Walker, publiée en 1986 sous le titre Maimonides, Nutrition and Health (PubMed 3515590), revient sur ces écrits et en souligne la modernité.
Maimonide écrivait que l’homme ne devait pas manger jusqu’à satiété complète, mais s’arrêter alors que son estomac restait encore au tiers vide. Il insistait sur la qualité des aliments : des produits simples, frais, préparés correctement. Il mettait en garde contre les aliments altérés, mal conservés ou trop assaisonnés, qui “troublent l’humeur” et fatiguent la digestion. Il recommandait d’adapter son alimentation aux saisons et à l’âge : des aliments plus légers en été, plus nourrissants en hiver. Ses prescriptions variaient selon l’individu : il ne donnait pas les mêmes conseils à un enfant, à un vieillard ou à un soldat. La digestion, selon lui, était au cœur de la santé. Il estimait que de nombreux maux naissaient d’un estomac surchargé ou maltraité. Enfin, il prônait la mesure dans les plaisirs : viandes, vin et pâtisseries pouvaient être consommés, mais jamais avec excès.
Walker analyse ces recommandations et les confronte aux données scientifiques modernes. Il montre que l’excès calorique est aujourd’hui reconnu comme l’un des principaux facteurs de maladies chroniques : obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires et certains cancers. La simplicité et la qualité des aliments rejoignent la lutte actuelle contre les produits ultra-transformés, riches en sucres, graisses saturées et additifs. L’adaptation aux saisons et aux individus rappelle la nutrition personnalisée contemporaine, qui prend en compte l’âge, l’activité, le métabolisme ou encore le microbiote intestinal. La digestion, que Maimonide plaçait au centre, retrouve une actualité inattendue avec les recherches modernes sur le microbiote, aujourd’hui considéré comme un organe clé de l’immunité, du métabolisme et même de la santé mentale. Enfin, la tempérance qu’il prônait s’apparente à une véritable hygiène de vie préventive : prévenir plutôt que guérir.
Ce qui frappe, c’est que Maimonide vivait dans une société où l’abondance était rare, et où affirmer que “trop manger rend malade” paraissait presque absurde. Son insistance sur la fraîcheur et la préparation des aliments faisait sens dans un monde sans réfrigération ni hygiène industrielle, mais ces recommandations trouvent aujourd’hui un écho dans la lutte contre les additifs et la malbouffe. Placer la digestion au centre de la santé était visionnaire : ses contemporains parlaient d’humeurs, lui parlait d’estomac.
Walker conclut que, sur une vingtaine de recommandations alimentaires de Maimonide, la majorité rejoint les préconisations modernes des autorités de santé : manger équilibré, privilégier la qualité à la quantité, adapter son régime à ses besoins. À une époque où la médecine se concentrait sur les symptômes, il affirmait déjà qu’un mode de vie équilibré était le meilleur des remèdes.
Pour aller plus loin : Maimonides, Nutrition and Health — A. R. Walker, 1986, PubMed ID: 3515590y
JT