
L’addiction sexuelle : aspects cliniques et thérapeutiques
L’addiction sexuelle, ou trouble du comportement sexuel compulsif, est un trouble reconnu depuis 2018 dans la CIM-11 de l’OMS. Elle se caractérise par une perte de contrôle sur les comportements sexuels, entraînant une souffrance clinique significative et une altération du fonctionnement personnel, social et professionnel. Cet article propose une mise au point sur la définition, la présentation clinique et les options thérapeutiques disponibles, incluant les approches psychothérapeutiques et médicamenteuses.
Définition et critères diagnostiques
Le trouble du comportement sexuel compulsif est défini dans la CIM-11 comme un schéma persistant d’échec à contrôler des impulsions sexuelles intenses et répétitives, se manifestant par :
un temps excessif consacré aux activités sexuelles, au détriment d’autres domaines de vie,
des tentatives répétées mais infructueuses de réduire le comportement,
la poursuite malgré des conséquences négatives,
une détresse significative ou une altération du fonctionnement social/professionnel.
Il est important de distinguer ce trouble d’une simple hypersexualité ou d’une libido élevée non pathologique.
Vignettes cliniques
Cas clinique n°1 : Multiplication des conduites sexuelles
Monsieur A., 38 ans, marié, deux enfants, consulte pour des conduites sexuelles incontrôlables. Depuis plus de cinq ans, il présente une consommation massive de pornographie en ligne (plusieurs heures quotidiennes), des sollicitations répétées de partenaires occasionnels et un recours fréquent à la prostitution. Il décrit une anxiété croissante, un isolement conjugal et des répercussions professionnelles. Les tentatives de sevrage entraînent irritabilité, agitation et insomnie, évoquant un syndrome de sevrage comportemental.
Cas clinique n°2 : Masturbation compulsive
Madame B., 29 ans, célibataire, consulte pour un trouble envahissant de la sexualité. Depuis l’adolescence, elle a recours à la masturbation de façon répétitive. Depuis deux ans, le comportement est devenu compulsif, avec 8 à 12 épisodes par jour, souvent associés au visionnage prolongé de contenus pornographiques en ligne.
Elle décrit une incapacité à contrôler ce comportement malgré des tentatives répétées, et une perte de temps considérable impactant ses études puis son activité professionnelle. Les conséquences sont multiples : fatigue chronique, isolement social, culpabilité intense, perte d’intérêt pour d’autres activités et diminution de l’estime de soi.
Elle rapporte également une augmentation de l’anxiété en cas de tentative de restriction, avec irritabilité et agitation, évoquant un véritable syndrome de manque comportemental.
Le diagnostic retenu est celui de trouble du comportement sexuel compulsif, forme centrée sur la masturbation compulsive.
Approches thérapeutiques
- Psychothérapies
Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : elles ciblent la restructuration cognitive, la gestion des stimuli déclencheurs et la prévention de la rechute (Hook et al., 2014).
Thérapies de groupe (Sex Addicts Anonymous, programmes en 12 étapes) : elles favorisent la responsabilisation et la réduction de l’isolement (Garcia & Thibaut, 2010).
Psychothérapies psychodynamiques : exploration des dimensions inconscientes, traumatismes précoces et conflits affectifs.
- Pharmacothérapie
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), notamment la fluoxétine (Prozac®), sont utilisés en première intention. Leur action sérotoninergique permet une réduction de l’impulsivité et de l’obsessionnalité (Kafka, 2010).
Naltrexone (antagoniste opioïde) : parfois utilisée en off-label dans les conduites addictives comportementales, avec des résultats encourageants.
Anti-androgènes (cyprotérone acétate – Androcur®, triptoréline – Salvacyl®) : indiqués dans les formes graves, notamment chez les sujets à risque criminologique. Leur prescription nécessite un cadre médico-légal strict et une surveillance des effets secondaires (thromboemboliques, métaboliques, psychiatriques).
Discussion
L’addiction sexuelle soulève des enjeux éthiques et sociétaux. Elle reste sous-diagnostiquée, du fait de la honte et du tabou qui entourent la sexualité. Les patients consultent souvent tardivement, lorsque les conséquences conjugales, professionnelles ou judiciaires deviennent majeures.
Le traitement repose sur une approche pluridisciplinaire : psychiatrique, psychothérapeutique et parfois médicamenteuse. La perspective n’est pas l’abolition de la sexualité, mais le rétablissement d’un comportement sexuel intégré et libre.
Conclusion
L’addiction sexuelle est désormais reconnue comme un trouble psychiatrique spécifique, à la croisée des addictions comportementales et des troubles du contrôle des impulsions. Les psychothérapies, en particulier les TCC, constituent la base du traitement, tandis que les ISRS représentent une option pharmacologique validée. Dans les cas graves, les anti-androgènes peuvent être indiqués, mais leur utilisation doit rester exceptionnelle et encadrée. La recherche future devra affiner les critères diagnostiques et évaluer l’efficacité comparative des différentes stratégies thérapeutiques.
Références (sélection)
World Health Organization. ICD-11 for Mortality and Morbidity Statistics, 2018.
Kafka MP. “Hypersexual disorder: A proposed diagnosis for DSM-V.” Arch Sex Behav. 2010;39(2):377–400.
Garcia FD, Thibaut F. “Sexual addiction: a multidimensional phenomenon.” Dialogues Clin Neurosci. 2010;12(2):217–225.
Hook JN, Reid RC, Penberthy JK, Davis DE, et al. “Evaluating the effectiveness of integrated group therapy for sexual addiction.” Psychother Res. 2014;24(4):387–398.
Docteur Gilles Uzzan
Psychiatre – Addictologue