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Croyances et Religions – Quels effets en psychiatrie, psychothérapie et psychanalyse ?

CROYANCES ET RELIGIONS
Quels effets en psychiatrie, psychothérapie et psychanalyse ?
Sous la direction de Patrick Bantman (*)

Voici un ouvrage véritablement exceptionnel, tant par la qualité des textes qui s’y trouvent réunis que par leur diversité.

Publié avec le soutien de de l’ADEPERC, Association pour le Développement d’Échanges Pluriels et de Rencontres Cliniques, ce livre a été coordonné par Patrick Bantman, psychiatre des hôpitaux qui travaille actuellement à l’OSE.

Il relate en grande partie une conférence tenue les 1er et 2 novembre 2017 au Menahem Begin Center de Jérusalem ainsi qu’une table ronde tenue le 3 novembre 2017 au Centre Français de Recherche de Jérusalem. Quelques contributions sont issues également de rencontres organisées à Tel Aviv et à Jérusalem en novembre 2015.

Il s’agissait de réfléchir sur la place des croyances et du fait religieux dans l’évolution moderne de la psychiatrie et de la psychanalyse, une thématique très actuelle traitée avec brio par une trentaine de contributeurs venus de tous horizons. Avec, en toile de fond, un fil rouge : dans la croyance, avec Freud, de rendre supportable la détresse irréductible de l’individu.

Dans son introduction, Patrick Bantman ne manque pas de rappeler que « depuis quelques années, le rôle positif de la religion, ou de la spiritualité, a été souligné dans de nombreux travaux en psychiatrie ou en psychopathologie » et que « divers auteurs notent l’importance de la religiosité comme pouvant constituer une manière efficace de contenir l’angoisse des patients ».

Donnant au lecteur un avant-goût du contenu, Patrick Bantman évoque Hervé Bentata, qui considère que bien des phénomènes habituellement retrouvés dans la psychose sont décrits tout au long du récit biblique. « Et il y a un pas certainement à ne pas franchir, qui ferait des prophètes des fous et des psychotiques… ». Un Hervé Bentata qui, plus loin, dans son texte, n’hésite pas à affirmer que nombre de grands scientifiques, de lettrés, d’artistes ou d’hommes politiques, ont pu traverser des épisodes de déliaison psychique. Cet auteur nous parle, par ailleurs, de « pulsion invocante bifide » et des « impasses de la communication humaine », évoquant le « daemon » de Socrate et la voix du Shofar.

Pour le professeur Huguelet de Genève, « les patients sont souvent aidés par la religion, mais l’association du délire en complique souvent l’évaluation ». D’ailleurs, « le lien entre religion et psychiatrie n’a jamais été simple » et « il n’existe pas de consensus quant aux définitions des termes « spiritualité » et « religion » ». La psychothérapeute Raymonde Samuel-Roubah, évoque, elle, la force des rituels tandis qu’Annie Serfaty considère, pour sa part, qu’il est nécessaire d’intégrer la dimension des représentations, des croyances et du religieux en Santé publique. « Dans notre monde rationnel, peut-on s’affranchir des croyances ? » se demande Henri Atlan et, comme en écho, la psychanalyste israélienne, Viviane Chétrit-Vatine note, avec Julia Kristeva, « combien le besoin de croire est constitutif au sujet parlant, avant toute construction religieuse ».

Après cet avant-goût, les contributions des différents spécialistes se succèdent. C’est Annie Serfaty qui inaugure ces textes remarquables sur le thème : « Place des représentations, des croyances, du religieux dans la reproduction humaine ; pour une réflexion en santé publique ». L’auteure rappelle que pour Émile Durkheim, « les premiers systèmes de représentation que l’homme s’est fait du monde et de lui-même sont d’origine religieuse ». Elle donne des indications précieuses sur la démographie israélienne : « Avec un taux de fécondité autour de 3 enfants par femme, le plus élevé de tous les pays développés, certains démographes israéliens pensent que la population va atteindre 20 millions d’habitants en 2050 ». Comme il est dit en Genèse 1-28 : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre ».

Dans un autre domaine, on apprend qu’en Israël, la GPA est autorisée pour les couples hétérosexuels mariés depuis 1996 et qu’elle a été étendue aux couples homosexuels en 2014. Enfin, Israël présente un taux de mortalité infantile de 3,2/1000, à comparer avec la France : 3,5 en 2015. Annie Serfaty fait remarquer, par ailleurs, que la grossesse pour autrui fut pratiquée au temps d’Abraham avec Agar et de Jacob avec Bila.

Dominique Tourrès-Landman a choisi de nous parler du Père Noël, symbole même de l’irréligion qui, pourtant, reçoit chaque année, des centaines de milliers de lettres et de courriels venus de jeunes enfants issus de 140 pays. « Nous pouvons avancer de même que le peuple juif mettait sa fois en un Dieu unique, mais croyait aux Dieux païens puisqu’il les combattait, de même le clergé catholique met sa foi dans le Dieu de la Nativité mais fait consister le Père Noël puisqu’il en supplicie l’effigie ».

L’auteure évoque, dans la foulée, la ressemblance avec les Indiens Katchina des États-Unis et le phénomène Halloween.

Alexandre Aiss évoque le sujet très émouvant des maisons de vie Eden, foyers de vie pour adultes autistes, dans lesquels, il y a quelques années, a été ouverte une synagogue, 20 mètres carrés, qui a pris peu à peu un rôle central, preuve que les personnes avec autisme ont des mécanismes psychique bien à elles.

Avec humour, Sylvie Benzaquen intitule sa contribution : « Il était une foi(s) », considérant que le rapport religieux à la religion, « c’est cela qui est nouveau depuis une vingtaine d’années, c’est cela qui est préoccupant ».

Revenant au père de la psychanalyse, Simone Wiener s’interroge : « Le besoin de croire est-il essentiel pour le sujet humain au point de pouvoir dire qu’il l’emporte sur le contenu de la croyance ? C’est une question troublante que Freud aborde en comparant les religions à des illusions , dont l’être humain a besoin pour se protéger de l’adversité ». Freud toujours avec Henri Cohen-Solal qui affirme que : « L’analyse de Freud est fondée sur une puissante confrontation entre la nature et la culture. La dimension animale de l’homme, instinctuelle, a du mal à composer avec sa construction culturelle ». « Il accuse la religion d’être la source de la régression infantile chez les hommes. » Et, il s’est attaché à « accorder à la religion un caractère éminemment négatif et à la civilisation un accessit positif, certes dangereux et contraignant », concluant par une interrogation : « Avec Freud, pouvons-nous renouveler notre espérance dans une humanité en progression ? ».

Loin du judaïsme et du christianisme, Jacques Vigne nous conduit auprès des religions du dharma : hindouisme, bouddhisme ( « la religion la plus rationnelle de l’humanité », jaïnisme ou encore taoïsme.

L’auteur, par ailleurs, n’hésite pas à faire un rapprochement intéressant entre la répression des Rohingyas en Birmanie à celle des Musulmans du Xinkiang chinois.

Le rite de passage de la Bar Mitsvah chez les Juifs est analysé finement par Muriel Katz-Gilbert, un rite qui témoigne du caractère avant tout collectif du judaïsme et qu’elle examine d’un point de vue psychanalytique.

Rituel aussi chez Raymonde Samuel-Roubah pour laquelle « Les rites de passage restent ancrés dans notre inconscient collectif et dans notre mémoire affective ; leur fonction structurante semble suffisamment perçue pour que des rituels réinventés voient le jour : baptême républicain, bar mitzwah laïque, cérémonies de deuil, voire rituels sataniques perpétrés par les adolescents dans des cimetières. En conclusion : « Peut-être, tout simplement, que la disparition des rituels nous renvoie à notre propre insignifiance ».

Pour évoquer la figure du Messie, Esther Orner appelle une bonne blague. Que faut-il répondre à la question : quelle est la différence entre le Machiach et le plombier ? Réponse : Le plombier tant attendu viendra peut-être. Le Machiach, qui sait ?

Dans son intervention, intitulée « Mythes, croyances et religions d’aujourd’hui », Richard Rossin, évoquant le « mythe musulman sur Jérusalem » n’hésite pas à affirmer que « les victoires des viols de la réalité sont visibles, notamment à l’UNESCO, aujourd’hui ».

Les « Folies radicales », notamment de l’islam dévoyé sont examinées avec pertinence par Serge Hefez qui précise que « Notre consultation de thérapie familiale dans le service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent à l’hôpital de la Pitié Slapétrière, en liaison avec la Préfecture de Paris et le numéro vert « Stop Djihadisme » mis en place par le ministère de l’Intérieur, nous ont mis en contact avec des adolescents, dont une grande proportion de filles, qui consultent avec l’ensemble de leur groupe familial ». Par ailleurs, « Ces jeunes sont pour beaucoup des convertis issus de familles non musulmanes, ou de familles musulmanes intégrées et peu pratiquantes ».

Presque en contrepoint, Lysiane Lamantowicz se penche sur la question très actuelle du complotisme, une « religion post-moderne » basée sur le conspirationnisme et nous apprend que 20% des Français croient que les Illuminati dirigent secrètement le monde. En réalité, « L’ancêtre des théories du complot se repère dans les rumeurs médiévales, et même antiques, concernant les Juifs qui complotent entre eux, pratiquent des meurtres rituels, empoisonnent l’eau et cherchent à dominer le monde. Puis, la chasse aux sorcières, considérées comme des représentantes du diable, en est un avatar ». Comment, dès lors, s’étonner de la publication des Protocoles des Sages de Sion, de la prétention à des complots judéo-maçonnique, judéo-bolchévique ou encore américano-sioniste mis en en œuvre par Hitler, par Staline et, plus récemment, par la propagande islamiste ? On pense aussi à l’épidémie actuelle des « fake news ».

Dans « Ça pousse à croire », Alain Deniau estime qu’il « n’est pas possible de tout dire, même de tout se dire ». Son analyse nous permet de pénétrer le monde de l’astrologie et de ceux qui croient dur comme fer aux horoscopes ou encore au délire de la possession où l’on rencontre Belzébuth. On apprend, avec étonnement que « Dans la pratique d’aujourd’hui, à Paris, les délires de possession sont plutôt exprimés par des personnes d’origine africaine, antillaise et surtout maghrébine.

Croyance, toujours, avec Patrick Mérot, qui précise qu’il ne faut pas confondre attente croyante et dogme et qui affirme que « l’homme est un animal qui ne supporte pas de douter ». Cet auteur, qui aime se référer à Octave Mannoni et à son je sais bien mais quand même, qui, dit-il, est au sein même de la croyance comme des croyances les plus banales de la vie quotidienne, nous offre de précieux renseignements sur le peuple Selk’Nam de la Terre de Feu, aujourd’hui disparu.

Patrick Mérot, dans sa brillante intervention, cite un nombre étonnant de personnalités qui sont passés de l’engagement politique à la quête spirituelle. La liste est aussi impressionnante que diversifiée. De Mao à Saint-Paul pour les philosophes Guy Lardreau, Bernard Sichère ou Alain Badiou, de Mao à Mahomet pour Christian Jambet et de Mao à Moïse pour Jean-Claude Milner et Benny Levy, ce dernier passant de la Gauche Prolétarienne à Jean-Paul Sartre dont il devient le secrétaire général avant la rencontre avec l’œuvre de Levinas, la yechiva à Strasbourg et l’alya en Israël. Sans oublier Pierre Pascal, Boris Souvarine, Georg Lukacs, Jean-Toussaint Desanti, voire Romain Rolland au lendemain du pacte germano-soviétique.

« La psychanalyse est-elle une religion ? », se demande Ilan Treves qui rappelle que pour Freud, la religion est une illusion. »Cela ne veut pas d’abord dire qu’elle est fausse : mais elle obéit à une logique de désir et non à une logique de vérité ». Dès lors, « si la psychanalyse a pu démystifier la religion et dénoncer son illusion, est-elle elle-même à l’abri de celle-ci ? ». Et notre intervenant de conclure : Pour certains, la psychanalyse est aujourd’hui plus orientée vers la foi que vers une croyance religieuse » ;

Avec Michel Gad Wolkowicz, on pénètre l’intimité de Freud et son rapport ambigu avec le judaïsme de ses pères. Freud, rappelons-le, était membre de la loge du B’naï B’rith de Vienne. Dans une lettre à sa fiancée, Martha, datée du 2 juillet 1882, il écrit : « Les historiens disent que si Jérusalem n’avait pas été détruite, nous autres, Juifs, aurions disparu comme tant d’autres papules avant et après nous. Ce ne fut qu’après la destruction du temple visible que l’invisible édifice du judaïsme put être construit » ou encore : « Ce qui me rattachait au judaïsme n’était pas la foi, car j’ai toujours été incroyant, j’ai été élevé sans religion mais non sans le respect de ce qu’on appelle les exigences éthiques de la civilisation humaine » et : « Je suis athée, Dieu merci ! ».

Dans une correspondance avec Karl Abraham, il précise : « J’ai toujours éprouvé un fort sentiment d’appartenance à mon peuple et je l’ai toujours cultivé chez mes enfants. Nous sommes restés de confession juive ». En 1924, il écrit : « Bien que je me sois éloigné depuis longtemps de la religion de mes ancêtres, je n’ai jamais perdu le sentiment de solidarité envers mon peuple ». Avec Albert Einstein, Sigmund Freud soutiendra l’idée de l’établissement d’un Foyer National Juif en Palestine, « terre de nos pères, des Pères qui ont habité plusieurs millénaires sur la terre d’Israël, et dont nous avons dans le sang et dans les nerfs l’héritage ».

Tout compte fait, nous dit Wolkowicz, « La psychanalyse ne pouvait être inventée que par un Juif athée, fidèle à ses origines, à l’expérience de la résistance, à son propre rôle d’opposant à la majorité compacte des idées te des hommes ». Et pour reprendre les propos du philosophe israélien Yosef Haïm Yerushalmi, la psychanalyse serait le dernier avatar du judaïsme, constitutive de ses caractères monothéistes fondamentaux.

Un travail remarquable à lire et à relire et qui mérite toute notre attention.

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions In Press. Août 2018. 456 pages. 22 €.