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Maurice Petrover, un pionnier de l’AMIF s’en est allé

De l’activité de notre père à l’AMIF nous n’en avons aucun souvenir et pour cause : il en a été le Secrétaire Général au début des années soixante-dix, bien avant notre naissance. Mais l’AMIF a toujours été présente chez nous. D’abord par les souvenirs souvent racontés par notre père. Le militantisme pour unir les médecins juifs toujours victimes d’antisémitisme dans une France d’après-guerre qui n’avait pas rompu avec ses vieux démons. Lui même jeune médecin fut ainsi refusé dans certains services hospitaliers, simplement parce qu’« israélite ». Les événements organisés par notre père et ses amis de l’AMIF ( Dr Paul Benaïm, Dr Didier Boccara etc.) réunissaient jusqu’à 600 médecins et accueillaient de grands professeurs pour des conférences dans l’ancien centre Rashi. Le dernier quart d’heure était systématiquement consacré à un enseignement de la Torah vue sous l’angle de la psychanalyse par un jeune conférencier prometteur, David Messas, dont on connait par la suite le brillant parcours.
Ensuite, par l’omniprésence de la mention AMIF dans notre maison. Il était resté de la grande époque des rames de papiers par centaines. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, c’est sur des feuilles avec en-tête AMIF que nous avons crayonné nos premiers dessins d’enfants.
Notre père n’avait que deux amours : sa famille et les livres. Fils unique, il vit son père se faire arrêter à son domicile par la police de Vichy en tant que juif étranger en aout 1941. Il ne le revit jamais. Par la suite, c’est grâce à une voisine chez laquelle il s’est caché avec sa mère une nuit, qu’il a échappé à la rafle du 3e arrondissement. Il a passé la guerre à Paris, la plupart du temps caché dans le débarras dissimulé au dessus du salon de coiffure de sa mère qui avait été aryanisé et où elle a poursuivi son travail. Il continuait également de se rendre chaque jour à l’école, en cachant son identité juive et sans porter l’étoile jaune. Sa plus grande peine, outre la déportation tragique de son père, fut l’interdiction faite aux enfants juifs d’entrer dans les bibliothèques municipales. Ce fut probablement la raison du cadeau offert par sa mère pour une bar mitsva qui ne fut jamais célébrée le 9 juin 1943 : un recueil de Corneille.
Sa vie après la guerre fut alors celle d’un homme en quête de savoir, de connaissance et aussi de pensée juive. Il a poursuivi de brillantes études de médecine, a été élève du Professeur Jean Hamburger avant de créer son propre service de néphrologie qu’il a dirigé pendant 30 ans à la clinique de l’Orangerie.
II fut lui même un grand enseignant et un pionnier de la dialyse rénale en France, permettent de sauver de nombreuses vies à l’époque ou l’insuffisance rénale était incurable.
De nombreux élèves et confrères ont rendu hommage à son immense connaissance scientifique et sa grande humanité tout au long de sa carrière et bien après sa retraite en 1998. Une soif de savoir incommensurable qui lui fit, bien après sa retraite, continuer de fréquenter aussi bien les cours d’hébreu, que de pensées juive ou le collège de France et l’académie de médecine.
Son autre but a été de fonder une famille et d’être le père qu il n’avait pas pu avoir.
Il a rencontré notre mère en Israël à Netanya un beau jour de l’été 1974. Ensemble, ils ont formé pendant presque un demi-siècle un couple uni et rayonnant entouré de leur trois fils.
Il a accompagné notre mère dans son investissement entre autre dans le renouveau de l’école Maimonide à Boulogne, et aura été un père extraordinaire, un modèle de bonté et de justesse. Et toujours pour nous une encyclopédie : trois notes de musique lui suffisaient à reconnaître un morceau… mais du moment qu’il avait plus de 100 ans ! Il pouvait parler de la thermodynamique des fluides ou de Socrate , avec la même aisance et la même modestie devant le savoir. Il aimait discourir simplement mais longtemps à table sur à peu près tout et toujours curieux de savoir et d’apprendre.
Il poursuivait cette quête de savoir malgré la maladie. C’était un mensch, un homme debout et même à la fin, contraint d’être assis ou allongé, notre père est resté debout. Il était de cette génération qui ne se plaignait pas. Son leitmotiv était « on serre les dents et on avance ».
Notre père s’en est allé, mais il nous a laissé le plus bel héritage qui soit. Il se résume en un mot yiddish qu’il nous a toujours prodigué : lernen, apprendre

David, Emmanuel et Benjamin PETROVER