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Docteur Google permet à chacun de croire et de savoir

C’en est heureusement terminé du temps où le médecin était le sachant tout-puissant face au patient qui subissait son diagnostic. Si la santé est le premier sujet de préoccupation des Français, l’accès à l’information médicale n’a jamais été aussi aisé. Plus de 53 millions de Français se connectent mensuellement à internet, soit 92% des foyers, leur temps moyen de connexion est de 2h12, et la part prise par la santé est grandissante dans les connexions aux milliards de pages consultables sur Google. Cette démocratisation des connaissances médicales a certainement corrigé une partie de l’asymétrie relationnelle entre le soignant et le soigné, en créant malgré tout son propre lot de déséquilibres.

Internet : la communication réinventée

Internet est indéniablement un phénomène social de rupture, accessible à tous sur le plan spatial, temporel ou culturel. Si le pic de connexions simultanées en France est à 21h07, avec 9 millions de visiteurs, un tiers des connexions est en faveur des réseaux sociaux et des messageries en ligne, quand 40 millions de Français sont des Cyberacheteurs. Internet fait maintenant partie de nos vies.

Si toutes les connaissances médicales sont référencées sur Internet, serait-ce pour autant que l’on puisse devenir médecin par Internet ?
Bien qu’il soit séduisant pour tous de comprendre une explication médicale accessible ou un raisonnement scientifique, le chemin est long jusqu’à affirmer qu’une hypothèse scientifique comprise soit d’emblée une vérité scientifique acquise. Si l’accès aux connaissances est aisé, la rigueur des raisonnements et la reproductibilité des expériences font toute la différence entre l’expansion des croyances permise par docteur Google, et l’acquisition des savoirs qu’il laisse tout juste entrevoir. La pandémie au COVID19 a été la parfaite illustration d’une science sans cesse invoquée et manipulée.

La vérité scientifique plus accessible que jamais ?

L’idée que la science permette d’accéder à une forme de vérité est présente aussi bien chez les philosophes, chez une partie du grand public, que chez les scientifiques. La vérité scientifique, pour mériter ce nom, ne doit pas dépendre d’une idéologie, d’une connexion hasardeuse, d’un contexte politique, ou d’un besoin psychologique. Nombreux sont ceux qui s’expriment sur Internet ou ailleurs, publiquement ou intimement, parce qu’ils savent, ou parce qu’ils croient savoir. Sur l’ensemble des pages santé d’Internet, 80% des contenus sont produits par les Internautes eux-mêmes.

On peut se demander si les informations rapidement ingérées sur internet suffisent à fabriquer des savoirs prêts à l’emploi, ou bien permettent-elles tout juste de façonner nos croyances ? Les patients se présentent souvent en consultation pour se faire prescrire l’ordonnance de leur choix, ou un arrêt de maladie pour la maladie qu’ils se sont détectée grâce à internet. Maintenant, certains patients ne se déplacent même plus et les demandent à leur médecin par téléconsultation. Ils ne comprennent souvent pas la réticence de leur médecin à adhérer à leur diagnostic ou à leur auto- prescription. Les croyances fondées sur des informations consultées sur internet se répandent. Les exemples sont nombreux, le dernier médicament contre tel symptôme ou telle maladie, avec sa notice, est souvent suggéré comme incontournable à l’internaute, que celui-ci ait fait la preuve de son efficacité ou pas.

Croire est un fait subjectif et psychologique. Internet donne souvent une sorte d’assentiment à nos croyances, lié à des causes et non à des raisons. Les croyances qu’il induit se fondent sur un mélange de désirs, de volontés, d’histoire personnelle, ou de tempérament. Nous sommes tous soumis en permanence à de nombreuses croyances, qu’Internet et nous-mêmes entretenons. D’ailleurs, nous avons autant besoin de croire que de faire croire ; Machiavel disait « gouverner c’est faire croire », quand Diderot écrivait « on risque autant à croire trop qu’à croire trop peu ».

La fiabilité des informations médicales du Net remise en question

Malgré cela, Internet reste le plus bel outil de transmission des savoirs que l’humanité a connu. Toutes les choses connues par d’autres peuvent aussi être sues après quelques clics. Internet permet d’apprendre, même ce que l’on n’a pas vérifié soi-même. Il rend accessible des enseignements sur tout, à n’importe quel moment. Internet permet également d’apprendre à expérimenter, pour acquérir certains savoirs qui le nécessitent. Son éventail d’informations échangées façonne nos intuitions, renforce nos certitudes, autant qu’il suggère des vérités.

D’une simple information à l’explication de la logique qu’elle sous-tend, chacun a accès aux différents niveaux d’acquisition des savoirs sur Internet. Le lien entre les connaissances accessibles à tous sur Internet crée même des prises de conscience. Malgré notre accès à Internet, il convient de rappeler que les objets du savoir et de la croyance sont incommensurables et hétérogènes. La croyance d’un patient ne peut donc pas se changer en savoir du médecin (ou d’ailleurs être équivalent à la croyance du médecin). Croire, c’est donner son assentiment à une proposition qui est tenue pour vraie sans avoir la certitude objective de sa vérité. Il s’agit d’une opinion. Savoir, c’est donner son assentiment à une proposition en ayant la certitude objective de sa vérité. Cette certitude est liée à des procédures de validation dont on peut rendre raison. Savoir, c’est savoir pourquoi on sait, et pouvoir le justifier d’un principe partageable à prétention universelle. L’internaute ne fait pas la différence entre croire et savoir la plupart du temps.

Si une opinion forgée sur Internet peut être vraie, elle ne peut être ni justifiée, ni enseignée. L’adhésion à une opinion, en tant qu’elle ne s’accompagne pas de certitude objective, est une croyance. Les croyances partagées sur Internet ne sont pas toutes des savoirs validés. L’opinion publique est ce qu’on pense communément dans un groupe social déterminé, les réseaux sociaux en font commerce. Elle est sujette à la persuasion, et donc à la manipulation.

La vulgarisation scientifique sur Internet occulte les nuances et les précautions d’interprétation et de répétition indispensables. L’information scientifique vulgarisée et distribuée à tous traite comme des vérités incontestables les toutes dernières informations publiées, même si elles font encore débat.

Avec l’avènement d’Internet, les données scientifiques se sont répandues aussi vite que les erreurs scientifiques ou les fraudes. Le nombre de données acquises augmente d’environ 30 % par an. Le nombre d’articles scientifiques retirés pour suspicion ou preuves de fraude ou insuffisante vérifiabilité a été multiplié tout autant. Malgré cela, la production et l’utilisation de données ouvertes sur Internet ont permis l’apparition de processus de sciences ouvertes, de sciences participatives et « citoyennes ». Parmi les innombrables données produites, une grande partie des données scientifiques se perd et doit à nouveau être acquise par d’autres. Près de 50 % des données utilisées par les scientifiques sont encore invérifiables.

Dans le roman 1984 de George Orwell, le parti au pouvoir a incorporé dans son idéologie le principe suivant : la vérité scientifique n’a de valeur que pour les seuls usages scientifiques. Internet après 1984 crée ses propres vérités. Indépendamment d’Internet, croire et savoir sont au premier abord deux façons de « tenir pour vraie » une affirmation. Pourtant, il y a une différence entre croire et savoir. Cette distinction est importante parce qu’elle rend possible une critique des croyances, des convictions, des opinions et des préjugés.

Donc, croire grâce à Internet peut relever d’une forme d’ignorance de sa propre ignorance, on croit savoir alors qu’on ne sait pas. C’est pourquoi il faut distinguer sur Internet ce qu’on croit vrai, ce qui nous semble vrai subjectivement, de ce qu’on sait vrai objectivement. La plupart des internautes, comme les philosophes pragmatistes, refusent d’opposer croyance et savoir. Un savoir n’est pas une possession certaine de la vérité, mais simplement une forme de croyance mieux établie. Nos savoirs, même bien garantis, restent faillibles, c’est pourquoi ils restent de l’ordre de la croyance.

Dr Google : accélérateur de la transformation de la relation soignant-soigné

Internet a changé la relation entre les soignants et les soignés, docteur Google y est pour beaucoup.

Les professionnels de santé visibles sur le Net, sont en permanence convoqués sur la scène de l’incertitude, en proie au doute, et interrogés dans leurs savoirs : leur savoir-faire, leur savoir-être. Ils sont parfois renvoyés à leurs propres limites : les limites de la vie, les limites des savoirs, les limites du sens, les limites personnelles. Ce bain d’incertitude peut engendrer un climat de tension, amenant chacun à des réactions défensives d’évitement, voire agressives, avec en arrière fond, la pression d’une société qui tolère de plus en plus mal les échecs thérapeutiques. Cela incite à passer d’un modèle médical paternaliste à un modèle anglo-saxon plus consumériste. Internet tente de combler ces incertitudes en créant pour chacun ses propres vérités nouvelles, sans régulation apparente.

Le médecin doit savoir, savoir maîtriser avec certitude les connaissances, les techniques et les thérapeutiques, mettant en œuvre ce lien étroit entre « savoir » et « pouvoir ». Le patient détient maintenant ses savoirs, et le médecin se doit de savoir la meilleure manière d’être écouté et être entendu par chaque patient, dans sa singularité, sa culture et ses croyances.

Puisse l’incertitude et le doute positif continuer d’habiter la médecine et les internautes, car comme disait Alphonse Karr : « L’incertitude est le pire de tous les maux jusqu’au moment où la réalité vient nous faire regretter l’incertitude».

Docteur Alain Toledano, Cancérologue Radiothérapeute Président de l’Institut Rafaël, Maison de l’Après-Cancer & centre de médecine intégrative proposant des soins de support et d’accompagnement pour les malades atteints de cancer.