Confiné – Les 3 Imprévisibles
Après 6 semaines de confinement et de commentaires des meilleurs experts, une question importante ne bénéficie que de peu d’attention : comment dépister les formes graves de la maladie. A écouter les médias : une épidémie, des virus et des humains contaminés sont un seul et même problème. On supprime la contamination, le virus meurt, l’épidémie disparait. Ce schéma trop simpliste oublie que ces trois personnages ont leur personnalité et empêche de réfléchir sur l’après, appelé déconfinement. Aucun de ces trois acteurs n’est fiable.
Le premier, l’épidémie est connu depuis les temps bibliques. Elle apparait en un lieu et un moment, y sème la mort puis s’attenue et disparait. Cette évolution erratique, sa disparition ne répond à aucun rationnel. Elle choisit son terrain de jeu. La peste a parcouru l’Europe du VIIIème au XVIIIème siècle avant de disparaitre. La grippe espagnole, déjà un virus H1N1, s’est déchainée 3 ans (1916-1919) et sera à l’origine de la prise de conscience qui aboutit à la création de l’OMS. Cette famille de virus reste bien installée dans le monde (pandémie 1977-79 et 2009-10, marocaine 2018-19) mais ses accès de fureurs restent violents mais rares et ses 100 millions de morts n’ont pas conduit la population mondiale à la sagesse.
Nos coronavirus furent déjà responsables du SRAS de 2002-2003 en Extrême-Orient et du MERS au Proche-Orient. La pandémie actuelle s’appelle Covid-19. Le nom est un choix politique. Le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, craint une stigmatisation « Nous avons dû trouver un nom qui ne faisait pas référence à un lieu géographique, à un animal, à un individu ou à un groupe de personnes ». Le chiffre 19 indique l’année de son apparition : 2019. Si les hommes font des efforts diplomatiques, les épidémies choisissent des théâtres de guerre. Pour le Covid, d’abord la Chine suivi le nord-est de la Méditerranée puis les USA. Son évolution ne sera pas plus rationnelle que les précédentes, une épidémie ne déclare jamais ses intentions ni n’a de passeport. Il faut se faire à l’idée, les épidémies appartiennent au paysage de l’humain. Sans crier gare, des résurgences frapperont encore, à l’inverse d’autres s’apaiseront avec ou sans traitement efficace. Il n’y a qu’à penser à Ebola et sa nouvelle flambée africaine en 2014-16 aussi violente que brève.
Le second personnage s’appelle virus. Leur découverte est plus récente. On la doit à Jean Hameau (1779-1851). Ils ont une double vie. Une forme autonome, en dehors d’un hôte, on l’appelle alors virion et est inerte. Mais, une fois qu’il a pénétré une cellule hôte, il peut se multiplier. Son patrimoine génétique peut détourner partie ou totalité du métabolisme. Des milliers sont décrits mais le plus souvent, ils sont non pathogènes. Nous sommes tous porteurs sains d’une foule de bactéries et virus. On leur a même trouvé un nom, le « biotope ». Notre vedette actuelle s’appelle Sars-CoV-2. Il se présente sous deux formes proches : une souche S dont serait issue une souche L, plus agressive. Des mutations peuvent aller vers plus ou moins de virulence comme de contagiosité. Sur ce phénomène, le médecin n’est que spectateur et ne peut rien prédire.
Le troisième personnage est l’Humain, peut-être le plus prévisible. Le taux de contamination est important pour la puissance publique. Cette dernière le veut discipliné et lui promet une longue vie si il reste confiné. Mais, patients ou médecins, notre crainte est le passage d’une forme paucisymptomatique vers une forme sévère voire grave. Les contaminations virales, sans symptôme ni conséquence autre qu’une immunité protectrice, paraissent même souhaitables. Pour choisir un mot apparemment trivial, le problème est de déterminer qui devient malade, qui nécessitera hospitalisation voire réanimation.
Les chaines d’informations en continu, les numéros spéciaux des magazines de toute sorte, confondent ces trois sujets qui ne se superposent pas. Sur les plateaux de télévision se succèdent les virologues qui parlent du virus, les épidémiologistes qui voient au-delà de nos frontières, des directeurs médicaux qui évoquent les difficultés logistiques, des réanimateurs qui gèrent la gravité. Une confusion règne et il est impossible au public de distinguer le virus, la maladie du malade. Il faut avouer que tout est fait pour complexifier l’affaire : le nom du virus commence par Sras avec S pour syndrome alors que la maladie s’appelle Covid avec co pour coronavirus. Curieux chassé-croisé des appellations. Le spectateur étourdit par trop de discours d’experts reste sur l’enchainement virus, épidémie et humain. A l’heure du déconfinement, sous cette hypothèse, il faudrait lever les contraintes uniquement lorsque le virus ne pourra plus circuler. Par un enchainement mécanique, l’épidémie disparaitrait et plus un humain ne serait malade du Covid.
Mais, hypothèse inverse, chacun des trois éléments est imprévisible et les liens les réunissant sont lâches et aléatoires. Alors l’épidémie peut s’atténuer et l’humain être épargné malgré un virus persistant. Le confinement pourra être levé dès que l’occupation des lits de réanimation laissera une marge de sécurité. Prédire une seconde vague est tout aussi présomptueux que la refuser. Trois certitudes, les structures hospitalières devront être repensée et être susceptibles de s’adapter, une vigilance sanitaire s’impose avec une transparence mondiale et la vie du monde reprendra. Le public lassé par le confinement oubliera les bonnes intentions, les gestes barrières et se pressera dans les avions, théâtres, restaurants et lieux de culte. « Mais l’homme est à ce point esclave de son système et de ses conclusions abstraites qu’il est prêt, en toute conscience, à déformer la vérité, prêt à ne plus rien voir, à ne plus rien entendre, du moment qu’il justifie mieux cette logique. » (1)
(1) Féodor Dostoïevski, L’homme du sous-sol, Éditions Actes du Sud, Coll. « Babel », 1992, p. 35
Dr Philppe Abastado – CRPMS-Université de Paris