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Ces malades célèbres qui ont changé l’Histoire : la cataracte de De Gaulle

UN LIT ASSEZ LONG POUR SA TAILLE 

En cette fin d’année 1952, Charles de Gaulle, âgé de 62 ans, entame ce qu’il appellera plus tard  « la traversée du désert ». Il se plaint depuis quelques mois d’une baisse très rapide de la vue de son œil gauche.

Son médecin traitant, le Docteur Lichtwitz, l’adresse en consultation à un ophtalmologue, le Docteur Louis Guillaumat qui est un excellent opérateur chirurgical avec une excellente notoriété.

Il consulte le 23 décembre 1952 le Docteur Guillaumat qui pose le diagnostic de « cataracte hypermûre à capsule chatoyante et fragile ». Il propose de l’opérer après lui avoir expliqué la nature de son affection oculaire. Le Docteur Lichtiwitz, héros des Forces Françaises Libres et Compagnon de la Libération, donne son accord. Un rendez-vous est pris le 27 décembre 1952 à la clinique de la rue Bizet. Le plus grand secret va entourer cette intervention qui se déroule très bien.

Comme l’écrira le Docteur Guillaumat au Docteur Pierre Amalric « la seule difficulté fut de trouver à la clinique un lit assez long pour sa taille ». Il a souligné la dernière partie de cette phrase, ce qui suggère la difficulté qu’il a eu à trouver un lit pour le Général en faisant preuve de la plus grande discrétion. L’intervention chirurgicale s’est bien déroulée. Il a employé la ventouse d’Arruga qui a « ouvert la capsule, d’où une extraction extra-capsulaire suivie de lavage des masses ». Les suites opératoires ont été bonnes.

DES « SUITES PARTIELLEMENT ORAGEUSES »

Le Général de Gaulle est néanmoins handicapé par le fait qu’il reste avec la seule vision de l’œil droit non opéré, il est impossible en effet de l’équiper à l’œil droit car la vision binoculaire n’aurait pas pu être rétablie. L’évolution de la cataracte de l’œil droit conduit le Docteur Guillaumat deux ans plus tard, le 10 mars 1955, à réaliser une intervention oculaire à « la ventouse de Harrington in toto ».

Néanmoins, les suites opératoires vont être marquées par ce que le Docteur Guillaumat appelle des « suites partiellement orageuses ». En effet, dans la nuit du 10 au 11 mars, le Général a présenté un collapsus cardio-vasculaire avec une tension artérielle à 6,5 et une tachycardie. Le Docteur Lichtwitz est appelé d’urgence, mais il est introuvable. On réussit à joindre le Professeur Milliez qui se rend aussitôt au chevet du célèbre patient. Il a écrit des notes à son retour : « Je suis arrivé à 1h40 rue Georges Bizet. J’ai trouvé le Général en collapsus mais présent et me disant « Bonsoir, Docteur, content de vous voir » (les yeux bandés), nous sommes bien peu de choses tout de même ».

La tension artérielle était à 9 ½-6 avec un minima imprenable. Le Général se sentait très mal. Il avait une impression de mort imminente et conservait une parfaite maîtrise et même manifestait une exquise politesse à laquelle je n’étais pas habitué : « Excusez-moi, Docteur, de n’être pas sémillant ». Sous l’influence du traitement, il s’est rapidement, mais partiellement amélioré. Il se sentait gonflé, nauséeux, son pouls battant à 130-136 sans aucune extra-systole. Il était « mou et filant ».

Puis, le Général reprend de la vigueur, son état cardio-vasculaire s’améliore. Il s’exclame alors : «  Ah ! je me sens gaillard. Je crois, si ce n’était mes yeux, que je pourrais me lever ». Guillaumat décide de refaire le pansement oculaire. Le Professeur Milliez écrira : « Il se laisse faire avec un grand calme. A aucune des piqûres, je n’ai vu un seul muscle de son visage se crisper. A aucun moment, je n’ai vu sa bouche, seule partie visible de son visage avec le bout du nez, se crisper. Une dignité, une grandeur, un calme, qui indiquent une force de caractère exceptionnelle telle que je n’en ai jamais rencontrée ».

Paul Milliez conclue alors son témoignage par cette phrase : « Pour la première fois, cette nuit-là, au lieu de me rétracter, il m’a séduit ». Le Général de Gaulle est satisfait de cette intervention qui lui permet de porter des verres pour les deux yeux permettant le rétablissement de la vision binoculaire qui le rendit selon Pierre Amalric « plus heureux ». Toutefois il évitera de porter ses lunettes à verres épais en public ou à la télévision, ce qui l’oblige à apprendre ses discours par cœur. Il éprouvait une sensibilité importante à la lumière, ce qui lui donnait en permanence les yeux mi-clos, l’handicapant fortement en particulier lors d’un séjour au Sahara.

Le Docteur Guillaumat livrera la confidence suivante : « Le Général ne portait guère en public ses verres correcteurs pour la vision éloignée, se contentant de suivre tranquillement le service d’ordre qui le précédait ». Les suites opératoires ont conduit Milliez et Guilllomat à réaliser un bilan cardio-vasculaire. A t-on découvert à cette occasion l’anévrisme de l’aorte abdominale qui allait lui être fatal quinze ans plus tard ? Nous ne le savons pas. En tout cas, lorsqu’il a été réalisé une intervention prostatique neuf ans plus tard, le Général, devenu entre temps Président de la République, a bénéficié d’un suivi cardio-vasculaire rigoureux.

Dr. Bruno HALIOUA

Pour en savoir plus : L’Histoire de la médecine pour les Nuls (Bruno Halioua, Editions First)