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Pologne et Russie : le poids du passé

La Pologne, en soutien de l’Ukraine, est aujourd’hui vent debout contre la Russie, avec qui elle partage 230 kilomètres de frontière avec l’enclave – ou plutôt l’exclave – surmilitarisée de Kaliningrad.

Cette Pologne où je suis né et où je ne suis plus retourné depuis plusieurs années, tant le climat des relations avec les Juifs s’y est dégradé depuis que le parti Droit et Justice (le PIS) est au pouvoir, je vais y aller la semaine prochaine avec famille et amis, et le contexte m’incite à réfléchir sur ses relations avec la Russie.

C’est une très ancienne animosité. Des historiens polonais prétendent qu’il y a eu 16 guerres, dont 14 provoquées par l’expansionnisme russe. 

Moscou a été occupé par la Pologne entre 1610 et 1612, à l’époque de Sigismond Vasa, un roi qui espérait convertir la Russie au catholicisme. Mais Varsovie, dont Sigismond avait fait sa capitale, a été 250 ans sous occupation russe. Quatre partages où la Russie se taillait la part du lion et où la Pologne avait fini par disparaitre, six révoltes sanglantes, un régime communiste imposé pendant 45 ans et qui se termine, grâce au mouvement Solidarnosc, par le premier gouvernement post-communiste de l’après-guerre, trois mois avant la chute du mur de Berlin.

Au Moyen-Âge, il n’y avait pas d’antagonisme marqué entre la Pologne et la Principauté de Kiev, qui est l’ancêtre de l’Ukraine et qu’on appelait la Russ. Celle-ci fut détruite par les Mongols et ses successeurs éparpillés durent payer le tribut pendant trois siècles. Au XVe siècle, le prince de Moscou, Ivan III le Grand, grand-père du célèbre Ivan le Terrible, conquiert les villes avoisinantes, rejette le tribut et se proclame César – ou tsar – d’une troisième Rome. Il généralise le servage et instaure une autocratie que tous ses successeurs, jusqu’à Nicolas II près de cinq siècles plus tard, vont perpétuer, et que Staline va porter à son apogée. Depuis Ivan le Grand jusqu’à Poutine, l’absolutisme est ancré dans la culture politique russe. 

L’histoire polonaise n’a rien à voir. Pour les nobles, grands ou petits, ce fut une sorte de république des égaux où un homme seul pouvait à l’assemblée bloquer toute décision, ce qui a rendu la monarchie impuissante. Dès le début du XVIIIe siècle, la Pologne, qui avait été un grand pays européen, est subordonnée à la Russie, avant d’être rayée de la carte.

Elle recouvre son indépendance en 1918, mais subit en 1920 l’attaque de l’URSS. C’est qu’elle est sur la route d’une révolution que Lénine compte exporter en Allemagne. En battant les Russes de façon imprévue, c’est le « Miracle de la Vistule », les Polonais disent qu’ils ont protégé l’Europe du communisme et que celle-ci ne leur en sait pas gré.

Et puis il y a 1939 : l’attaque soviétique pour se partager avec les nazis les dépouilles de la Pologne, ce que Poutine présente comme un acte préventif, comme il le dit de son action en Ukraine. Il y a l’assassinat en avril 1940 de 22.000 officiers polonais prisonniers par la police secrète soviétique, parmi eux ceux dont les cadavres furent découverts dans la forêt de Katyn. Poutine a reconnu en 2010 la responsabilité de Staline, mais il n’y a eu ni enquête, ni geste mémoriel, pour les victimes et la majorité des Russes pense que Katyn est une machination des ennemis de la Russie.

Le mythe d’une Russie gardienne du bien en proie à la concupiscence de l’Occident fait face à celui d’une Pologne christique, victime innocente de l’appétit de ses voisins. Pour le sociologue Georges Mink, il y a des romantiques qui idéalisent une histoire et des pragmatiques qui redoutent les fantasmes que véhicule cette histoire. Poutine serait un romantique, Jaroslaw Kaczynski maître à penser du PIS aussi. Mais seul Poutine possède l’arme nucléaire.

Avec les dirigeants romantiques, l’histoire est un outil idéologique. La Pologne d’aujourd’hui reste loin du niveau de falsification de la propagande russe. C’est là qu’ont été élaborés les Protocoles des Sages de Sion et que les crimes de Staline ont été passés sous silence.

Cette capacité de falsification parait illimitée. J’ai lu qu’un organisme historique russe prétendait que la bataille de Grunwald avait été gagnée par les Russes. La bataille de Grunwald, que les Allemands nomment Tannenberg, est la grande date mémorielle polonaise, qui marque la défaite des Chevaliers Teutoniques en 1410 par une coalition polono-lituanienne. En faire une victoire russe est ahurissant, d’autant qu’il n’y avait pas encore de Russie à l’époque…

Mais quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites.

Dr. Richard PRASQUIER

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