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Les Kurdes

[Suite à la fusillade survenue le 23 décembre dernier], les Kurdes ne croient pas à la thèse du loup solitaire raciste. A tort ou à raison, ils  voient la main de la Turquie et la frilosité de la France à l’admettre. C’est qu’il y a un lourd passé.

Il y a quelques jours, on a commémoré le 10e anniversaire de l’assassinat à Paris de trois militantes du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan. L’identité de l’assassin, le chauffeur des victimes, a été découverte grâce à une conversation publiée sur Youtube, probablement par les gülenistes en conflit avec Erdogan, où on l’entend recevoir des instructions sur les membres du PKK à éliminer. 

L’homme est arrêté, mais il meurt avant son procès d’une infection pulmonaire favorisée par une chimiothérapie pour cancer ; l’action judiciaire prend alors fin et le dossier est aujourd’hui couvert par le secret défense. Silence sur les services secret  turcs. La France ne veut apparemment pas titiller Erdogan. Les Kurdes sont furieux…

Les Kurdes, qui revendiquent d’avoir les Mèdes pour ancêtres, ont préservé leur langue proche du perse, et sans lien avec l’arabe ou le turc. C’est une langue écrite, dont le chef d’œuvre littéraire est une sorte de Romeo et Juliette dont l’amour a été contrarié par les conflits entre les tribus, donc un appel implicite à l’unité. Mais entre un kurde de Turquie et de Syrie, qui parle le dialecte Kurmandji, celui que parlent aussi les yezidis, et celui d’Iran ou d’Irak qui parle le kurde Sorani, l’inter-compréhension est minime. 

Depuis les révoltes contre les sultans ottomans au XIXe siècle, et plus encore dans la Turquie nationale depuis Kemal pacha où les Kurdes représentent plus de 20% de la population, la langue kurde a été souvent interdite. La création d’un état kurde autonome, prévue dans le traité de Sèvres de 1920, a disparu dans le traité de Lausanne de 1923 et le point de rencontre entre les islamistes et les nationalistes laïcs turcs est le rejet d’une entité politique kurde autonome.

D’où la dureté du combat contre le PKK, une organisation créée en 1979 avec le soutien communiste, considérée comme terroriste dans la plupart des pays occidentaux, bien qu’elle ait modéré son discours depuis l’emprisonnement en Turquie de son chef charismatique, Abdullah Oçalan.

Le YPG, proche du PKK, a joué au Rojava, le Kurdistan syrien, un rôle majeur dans la défaite de l’Etat islamique, soulignant par contraste les ambiguïtés de Erdogan vis-à-vis de Daesh. Ce même Erdogan profitant de l’impunité que lui confère la guerre en Ukraine, menace aujourd’hui d’envahir le Rojava.

En Irak, les Kurdes ont obtenu une autonomie après avoir été les victimes d’une épouvantable répression, avec armes chimiques, opérée par les troupes de Saddam Hussein. Cette autonomie a été renforcée depuis l’intervention américaine en Irak de 2003. Le kurde est ici une langue officielle. Le Parti démocrate du Kurdistan dirigé par la célèbre famille Barzani, doit soigner ses relations avec le gouvernement turc, et il est aujourd’hui en conflit avec l’Iran sous prétexte qu’il soutient les kurdes iraniens. 

Car Mahsa Amini, cette jeune femme dont la mort a déclenché la révolte actuelle en Iran, était kurde, et la répression du régime est particulièrement violente dans le Kurdistan iranien.

On le voit, les Kurdes, dispersés entre quatre pays, subissant, malgré leur nombre de 30 à 40 millions d’individus, les dures lois de la realpolitik. Même les kurdes irakiens qui sont presque indépendants, doivent manœuvrer entre les puissants, ces grands prédateurs que sont Erdogan et le régime iranien. Il ne fait pas bon être minoritaire au Moyen-Orient.

Qu’on le regrette ou non, il faut être fort pour ne pas être écrasé. Israël le sait.

Benjamin de Tudèle dénombrait en 1170 une centaine de communautés juives en territoire kurde. Ce seraient, écrit-il, les descendants des Israélites que le roi Sargon avait amenés en Assyrie après avoir détruit leur royaume, 150 ans avant la chute de Jérusalem, donc les descendants des dix tribus qu’on dit perdues. C’est peut-être vrai. Ils parlaient en famille un dialecte araméen, preuve de leur très ancienne présence dans la région.

Parmi les Juifs kurdes, il y avait peut-être aussi des descendants du royaume judaïsé de Adiabène, dont les souverains ont voulu être enterrés à Jérusalem dans ce caveau qu’on appelle les Tombeaux des Rois, que les frères Pereire ont légué à la France.

Les Juifs kurdes avaient des relations excellentes avec leurs voisins, musulmans sunnites. Elles se sont tendues quand, en 1941 dans la lointaine Bagdad, un régime nazi a déclenché le terrible pogrome du Farhoud. Elles se sont détériorées après la guerre de 1948 contre Israël, quand le contingent irakien a fait partie des vaincus. Alors, en 1951 et 1952, les 25 000 Juifs kurdes ont fait leur Alyah, comme 100 000 autres Juifs irakiens. Parmi leurs petits enfants, il y a des universitaires, des généraux, des sportifs, des artistes et des politiciens, en particulier quelqu’un dont on parle beaucoup aujourd’hui, Itamar Ben Gvir….

Dr. Richard PRASQUIER

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