
Les innovations médicales israéliennes au cours de la guerre de Gaza
La guerre déclenchée dans la bande de Gaza à partir d’octobre 2023 a soumis le système médical israélien à une pression sans précédent. Face à l’afflux massif de blessés – soldats comme civils – les professionnels de santé israéliens ont dû déployer des innovations technologiques et organisationnelles inédites pour sauver des vies. Qu’il s’agisse de recourir à l’intelligence artificielle pour accélérer les diagnostics, d’utiliser de nouveaux dispositifs médicaux robotisés en chirurgie, ou d’améliorer les protocoles de médecine de guerre (transfusions sur le terrain, hôpitaux de campagne modulaires, etc.), la crise a agi comme un catalyseur d’avancées.
Intelligence artificielle et diagnostic d’urgence
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) s’est révélée déterminante pour accélérer la prise en charge des blessés les plus graves. Par exemple, le Centre médical Sheba (Tel HaShomer) a déployé la plateforme d’IA Aidoc, capable d’analyser automatiquement les images médicales (scanner, IRM, etc.) et de détecter des lésions critiques en quelques secondes. Chaque examen radiologique réalisé à l’hôpital est traité par un serveur dédié intégrant les algorithmes d’Aidoc, en parallèle de la lecture par un radiologue humain. En cas d’anomalie grave (hémorragie interne, embolie, etc.), l’IA envoie immédiatement une alerte au médecin concerné via une application mobile. Durant le massacre du 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi, Aidoc a grandement aidé les équipes à trier et prioriser les patients en situation d’afflux massif de blessés. Un exemple éloquent est celui d’une jeune femme de 23 ans grièvement blessée lors de l’attaque du festival de Reïm par le Hamas : en plus de multiples balles, elle présentait un anévrisme cérébral caché. L’IA d’Aidoc a identifié en temps réel ce saignement minuscule dans une artère cérébrale et alerté le neurochirurgien de garde, qui a pu intervenir aussitôt. Ce cas illustre comment l’IA médicale, déjà utilisée de façon routinière dans les hôpitaux israéliens depuis quelques années, a été un atout décisif pour la médecine de guerre en 2023.
Robotique chirurgicale
La chirurgie robotique a été largement utilisée. À l’hôpital Hadassah de Jérusalem, des chirurgiens ont adapté un robot de chirurgie du rachis pour extraire des projectiles logés profondément dans le corps de soldats blessés. L’équipe du Professeur Josh Schroeder, spécialiste de chirurgie spinale a utilisé en décembre 2023 le système de guidage robotisé Mazor (conçu à l’origine pour traiter des scolioses) afin de retirer une balle logée dans le sacrum d’un militaire. Grâce au robot, les médecins ont pu pratiquer une chirurgie minimement invasive en seulement 1h30, en suivant précisément la trajectoire optimale calculée par la machine pour atteindre la balle. Le robot Mazor a également été employé pour stabiliser des fractures vertébrales ou extraire des éclats d’obus chez des victimes du 7 octobre. L’innovation ici réside moins dans la technologie elle-même (la robotique médicale existe depuis plus d’une décennie) que dans son application inédite à la chirurgie de guerre.
Nouveaux dispositifs médicaux
Des dispositifs innovants conçus en Israël ont été largement distribués aux forces sur le terrain. C’est le cas par exemple du fameux “bandage israélien”, un pansement compressif élastique inventé par un secouriste de l’IDF dans les années 1990, qui est encore amélioré et utilisé massivement pour contrôler les hémorragies sur le champ de bataille. De plus, l’IDF (Israeli Defense Forces) a intégré récemment à son arsenal médical des technologies comme des capteurs portables pour surveiller les signes vitaux des blessés en évacuation, ou des systèmes de télémédecine permettant à un médecin à l’arrière de guider en direct un infirmier sur le front. La guerre a poussé de nombreuses jeunes entreprises israéliennes à proposer rapidement leurs technologies aux hôpitaux et unités de soins. Par exemple, Sheba a lancé un appel à projets pour équiper en urgence un nouveau service de rééducation ouvert pendant le conflit : sur 82 propositions, 8 solutions ont été testées et 2 retenues, dont Kemtai (un coach de physiothérapie en réalité augmentée) et Cognishine (une plateforme de rééducation cognitive en ligne). Ces outils numériques visent à prolonger la prise en charge des blessés une fois sortis de l’hôpital, en leur offrant des exercices personnalisés avec feedback en temps réel grâce à l’IA, afin d’accélérer le retour à la vie normale. Ainsi, de la salle d’urgence jusqu’au centre de rééducation, l’innovation israélienne s’est déployée tout au long du parcours de soin des blessés de Gaza.
Progrès en médecine d’urgence et soins sur le terrain
Dans le domaine de la médecine militaire, Israël a opéré en 2023-2024 un véritable saut qualitatif, en appliquant à grande échelle des techniques de prise en charge préhospitalière encore rares ailleurs. Un indicateur marquant est la chute du taux de létalité parmi les soldats blessés : lors de la guerre du Liban de 2006, environ 14,9 % des militaires israéliens touchés succombaient à leurs blessures, un ratio passé à 9,4 % en 2014 (Opération Bordure Protectrice) et tombé à environ 7 % dans la guerre actuelle. Cela signifie que plus de 90 % des blessés survivent, un record historique que le corps médical de l’IDF attribue en partie à de nouvelles pratiques de réanimation sur le terrain. Désormais, chaque compagnie de combat de l’IDF est accompagnée d’un médecin ou d’un « paramédic » senior, capable d’atteindre un soldat touché en 5 à 7 minutes. Ces secouristes avancés sont équipés de moyens innovants pour traiter immédiatement les hémorragies graves, première cause de mortalité évitable au combat. Depuis 2013, l’IDF a fait le choix pionnier d’utiliser du plasma lyophilisé (ou freeze-dried plasma, FDP) en perfusion dès le point d’impact, de préférence aux solutions cristalloïdes classiques. Le plasma, une fois reconstitué avec de l’eau stérile, apporte non seulement du volume mais aussi les facteurs de coagulation nécessaires pour stopper les saignements. Une étude du Corps médical de l’IDF a montré que ce protocole de transfusion préhospitalière de plasma était réalisable même pour des patients pédiatriques grièvement blessés, renforçant la confiance dans son usage systématique en zone de combat. Fort de cette expérience, l’IDF est allée encore plus loin durant la guerre de Gaza en introduisant la transfusion de sang total directement sur le champ de bataille. En effet, plutôt que de perfuser séparément des culots de globules rouges, du plasma et du sérum physiologique, il est souvent plus efficace de transfuser une unité de sang complet universel (groupe O) au blessé grave, afin de lui apporter en une seule fois globules rouges, plaquettes et plasma. Cette approche, inspirée de pratiques improvisées par l’armée américaine en Irak, n’avait jamais été appliquée de façon routinière par une armée jusqu’à présent. Magen David Adom (le service ambulancier israélien) prépare ces poches de sang total O+ à l’avance et les envoie sur le front dans de petites glacières portables. Cette simplification a son importance lorsque les soins doivent être donnés dans l’arrière d’un blindé ou un hélicoptère sous le feu. Par ailleurs, l’évacuation sanitaire a été optimisée grâce aux nouvelles technologies. Des drones de transport médical surnommés “Thor” – de gros quadrirotors – ont été déployés pour acheminer rapidement des poches de sang ou du matériel médical vers les unités en première ligne. Ces drones larguent leur charge dans une boîte réfrigérée équipée d’un parachute miniature, afin de livrer sans dommages jusqu’à 450 mètres n’importe où sur le terrain. Cette méthode innovante pallie les difficultés d’accès lorsque les routes sont coupées ou dangereuses. En parallèle, l’armée de l’air et l’unité 669 ont évacué par hélicoptère environ 1 600 blessés depuis Gaza vers les hôpitaux israéliens en arrière-front. Le temps moyen entre la blessure et l’arrivée en salle de trauma a été réduit à un peu plus d’une heure, ce qui est crucial pour traiter les chocs hémorragiques. Tous ces progrès – présence de médecins dans les compagnies, transfusions préhospitalières de sang et plasma, logistique innovante par drones et hélicoptères – convergent pour expliquer l’amélioration sans précédent des chances de survie des combattants touchés. L’IDF estime ainsi avoir sauvé 380 vies de soldats au cours des 14 premiers mois de guerre grâce à ces nouvelles méthodes et technologies.
En définitive, les innovations médicales israéliennes durant la guerre de Gaza démontrent combien la nécessité peut accélérer le progrès. Elles ont repoussé les frontières de la médecine de guerre, tout en rappelant que la technologie doit rester au service de l’humain. Les succès enregistrés invitent à pérenniser et à partager ces avancées.
Dr Bruno HALIOUA
Bibliographie
- Renee Ghert-Zand, « How cutting-edge Israeli med tech is boosting survival rates of war wounded », The Times of Israel, 17 janvier 2024
- Renee Ghert-Zand, « As more troops survive injuries, some credit battlefield transfusions of whole blood », The Times of Israel, 22 mai 2024.
- Seth J. Frantzman, « New tech, including drones carrying blood, help injured Israeli soldiers survive », Breaking Defense, 27 novembre 2024
- Dan Williams, « Israel talking to agencies about setting up field hospitals in southern Gaza », Reuters, 2 novembre 2023
- Abigail Klein Leichman, « The rehab innovations helping to heal war wounds », Israel21c, 18 décembre 2023
- Anat Aka-Zohar, « The Israeli Paradox: Leading in Development, Struggling with Implementation », Calcalist CTech, 2023
- Roy Nadler et al., “The Israel Defense Forces experience with freeze-dried plasma for the resuscitation of traumatized pediatric patients”, Journal of Trauma and Acute Care Surgery, vol. 87(6), 2019