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8% des patients évitent un médecin parce qu’il est juif

À un moment où on évoque la résurgence de l’antisémitisme, il me parait important de rappeler la partie du sondage Fondapol consacré à l’antisémitisme dans l’opinion publique française réalisé en septembre 2014 sur un échantillon de 1005 personnes, représentatif des Français âgés de 16 ans et plus.
En effet, à la question « Si cela ne dépendait que de vous, est-ce que vous rechercheriez, est-ce que vous éviteriez, ou bien vous ne vous préoccuperiez pas du tout » d’avoir un médecin juif, j’y ai appris avec stupeur que 8 % des personnes avaient répondu qu’ils éviteraient. Malheureusement on ne connait pas le pourcentage de ceux qui rechercheraient un médecin juif. Que faut-il en penser ?

Je ne suis pas sociologue, mais le fait de savoir que 8% des Français évitent en 2005 un médecin juif, ce qui correspond à environ 5,3 millions de personnes, mérite une réflexion approfondie. J’avoue que j’aurais désiré disposer des données concernant la répartition par âge, par sexe, par catégorie socio-professionnelle, etc. Mais surtout j’aurais aimé affiner ce sondage en posant quatre questions subsidiaires aux 8% des Français qui ne veulent pas de nous comme médecin :
– 1ère question subsidiaire : comment savez-vous que le médecin que vous souhaitez éviter est juif ?
– 2ème question subsidiaire : préféreriez-vous mourir plutôt que d’avoir une prise en charge par un médecin juif ?
– 3ème question subsidiaire : éviteriez-vous un médecin corse ? Un médecin auvergnat ? Un médecin breton ?
– 4ème question subsidiaire : pensez-vous que les médecins juifs sont trop nombreux en France ?
Je redoute le pourcentage de réponses positives à cette ultime question subsidiaire d’autant que le même sondage nous apprend que les personnes interrogées sont d’accord avec la proposition selon laquelle les Juifs sont trop nombreux en France (16%) et qu’ils ont trop de pouvoir dans le domaine de la finance (25%), des médias (22%) et de la politique (19%). J’aimerais juste rappeler que dans ce même sondage, il a été rapporté que les personnes proches du Front National étaient 3,5 fois plus nombreuses (28%) à déclarer vouloir éviter un médecin Juif. Cela renvoie à de vieux démons qu’on croyait disparus, mais surtout c’est un camouflet à tous ceux qui estiment que l’antisémitisme vis-à-vis des médecins juifs a complètement disparu. On a l’impression de revenir plusieurs décennies en arrière. Pour la première fois depuis près de 40 ans, le pourcentage de Français souhaitant éviter un médecin juif augmente à nouveau alors qu’il avait diminué inexorablement depuis plusieurs décennies passant de 16% en 1966 (Enquête IFOP) à 12% en 1977 (Enquête Louis Harris), à 7% en 1985 (Enquête IFOP) et à 3% en 2005 (TNS Sofres). L’ensemble de ces données mérite non seulement une réflexion approfondie, mais aussi une action concrète pour lutter contre les préjugés antisémites encore trop souvent ancrés dans la population française. C’est un challenge important auquel nous devons réfléchir non seulement pour nous, mais aussi pour les générations futures. Quelle attitude doit-on adopter en 2018 vis-à-vis de ces personnes qui évitent les médecins juifs ? J’y ai longuement réfléchi et finalement j’ai obtenu la réponse d’un médecin de l’AMIF aujourd’hui à la retraite. Il m’a expliqué qu’après avoir racheté une patientèle en banlieue parisienne 1962 à son arrivée d’Algérie à un médecin antisémite, il avait enregistré la première année de son installation une « évaporation » anormale des patients considérés comme « fidèles », mais il n’en avait pas été affecté, car comme il me l’a dit en rigolant « ça tombait bien, moi aussi j’avais pas envie de soigner des malades antisémites ! ». C’est lui qui avait entièrement raison !

Dr Bruno Halioua
Président de l’AMIF