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Le casse-croute tunisien

Ah ! Le casse-croute tunisien.

J’ai reçu avec intérêt et sympathie un texte du mon ami Gérard SAMAMA relatif à la communication du Docteur Paul BOUBLI de Toulouse sur sa perception du casse-croute tunisien et les citations retenues.

Je suis impressionné et flatté qu’un sujet théoriquement banal devienne le témoignage d’une culture méditerranéenne, une sorte de porte-drapeau culinaire du « pays de BOURGUIBA », qui lui donne une originalité certaine.

Je suis ravi d’apprendre que des sociétés savantes de rayonnement international, lieu d’expression de professeurs, de sociologues, d’autres savants variés, ont une approche intellectuelle et scientifique qui « dessèche » le message curieux d’une alliance d’ingrédients qui font l’originalité et la poésie gustative du casse-croute tunisien.

Il peut paraitre surprenant qu’il soit considéré comme une offense répétée à l’harmonie des goûts, des alliances de couleur et de consistance.

Il est regrettable que l’analyse froide et distante des historiens, sans empathie pour des gens simples mais authentiques, ne puisse pas percevoir la valeur du code relationnel entre le marchand et l’amateur fidèle.

Elle occulte le lien de convivialité souriante et une promesse de dégustation jubilatoire de chaque bouchée, véritable feu d’artifice des papilles.

Je ne vois pas enfin l’intérêt d’une analyse anatomo-physiologique de la fonction masticatoire et de ses conséquences qui mobilisent des principes physico-chimiques dont les lois ont été définies par des auteurs grecs qui n’ont pas besoin du casse-croute pour conquérir l’immortalité.

Je souhaite maintenant exprimer mon attachement à ma culture méditerranéenne, mes racines judéo tunisiennes qui m’ont permis de m’imprégner de la chaleur humaine, de générosité, d’humour et de courage malgré une fragilité économique sévère de cette population à la consommation habituelle du casse-croute tunisien.

L’expression à BELLEVILLE de ce regroupement communautaire a permis un progrès, une vitalité, une sauvegarde des traditions et une vitrine attractive pour ceux qui voulaient retrouver le parfum et la chaleur humaine de leur Tunisie natale et aussi pour ceux qui découvraient le plaisir d’une atmosphère accueillante.

Le casse-croute, parfois prononcé « sandvitche » était le recours banal, quasi quotidien, du petit repas de la matinée, ainsi qu’à toute heure.

Il pouvait devenir le mets d’exception, à valeur symbolique à la fin de la pâque juive, du pain azyme et des herbes amères, pour renouer avec le pain et les retrouvailles des goûts qui enrichissaient ce pain.

La magie du casse-croute rejoint le principe de casser la croute, comme on brise la glace et sa froideur, pour accéder au cadeau sous jacent que représente la mie. Cette mie offre l’hospitalité, absorbe les ingrédients dont le mélange enrichit la poésie de chaque bouchée.

D’ailleurs les deux pains de choix sont :

  • Le pain italien à mie compacte, lourdement absorbante et dont la croute souple ou cassante agrémente la consistance.
  • Le pain arabe, à croute molle et souple dont la mie est aérée, le fait ressembler à une boule, surnommé le pain « nfife », pain « éponge », capable ainsi d’un grand pouvoir d’absorption.

La confection du casse-croute dépend d’un code, d’un rituel qui garantit la qualité du marchand.

Avant d’aborder la précieuse technique, il me parait opportun de parler des marchands. Ce sont des artisans qui ont une pratique quotidienne souvent pendant des décennies, fidèles à une   motivation pour la qualité de leur œuvre pour mériter l’étiquette d’artisan artiste.

Ils sont souvent connus par leur prénom : Victor, Néné, Aaron, Azar…(certains voudraient voir cité le prénom de leur référence personnelle, ils sont évoqués dans les points de suspension….) Ceci est un symbole de familiarité, d’estime et de reconnaissance.

Ainsi ces liens de fidélité excluent toute intervention intempestive d’un geste d’interdit, d’une mimique désagréable ou une consigne verbale d’interdit qui interrompe la démonstration de la dextérité et de la concentration de « l’officiant ».

On peut comprendre la réaction de Victor cité par M. BOUBLI, aussi coléreuse qu’humoristique de refus de la poursuite de la confection du sandwich devant le dirigisme guindé et pointilleux du touriste égaré.

Je me dois de citer Néné, pilier de Belleville, qui me racontait que dans une relation intuitive et confiante, il percevait la manière de préparer le casse-croute de  son client pour éviter par cette inspiration des risques de réaction négative.

Avant d’évoquer la confection et le choix des ingrédients, il faut évoquer et insister sur le pari de la cuisine tunisienne faite pour des raisons économiques avec des ingrédients peu couteux associés à l’astuce, la créativité, la recherche du mariage d’épices valorisantes plus la Tendresse comme ingrédient précieux pour permettre des résultats appréciés.

Sur le plan technique,

L’artisan éventre son pain, avec son couteau, prolongement naturel et fidèle de sa main experte. Il maintient son pain entr’ouvert grâce à une prise précise de sa main.

Il peut enlever un peu de mie pour augmenter l’accueil des garnitures successives :

  • D’abord la « salade cuite », étalée dans le fond du casse-croute, sert de lit à la réception du reste

Elle est faite d’un mélange de (selon le volume) :

  • Une dose de carottes.
  • Le double de tomates.
  • 2/3 (de la dose de tomates) de poivrons surtout des rouges.

Après cuisson le tout est mixé et assaisonné sel+poivre+coriandre 1 dose + carvi 1 dose :

  • La salade fine « slata jida » : définie ainsi car elle un mélange de légumes en tout petits morceaux, plus facilement avec les moyens modernes.

Elle est faite en formule de base de tomates, poivrons, concombre, parfois enrichie d’un peu d’oignons frais, radis ou même de cœur d’artichauts crus, toujours coupés petits, assaisonnée de sel, citron, un peu d’huile.

Une ou deux lamelles de pommes de terres bouillies :

  • Les olives :
    • 1 à 2 olives noires frippées et gouteuses.
    • 1 olive charnue et parfumée de kalamata.
    • 2 olives vertes cassées à la chair ferme, enrichie d’une légère amertume.
  • Un ou deux quarts d’œuf dur.
  • Quelques capres répartis pour une retrouvaille intermittente de la saveur de petits capres.
  • Un quart de citron beldi : citron vert petit et parfumé en saumure, en périphérie.
  • Un petit poivron piquant rouge ou vert.
  • Un peu de variantes : lamelles carottes et navets salés dans du vinaigre.
  • Enfin le Thon, ingrédient noble dont le volume et la densité enrichit le geste généreux du marchand et rassure déjà le client, étalé à la main sans être effrité
  • Et en touche finale, selon la volonté du client, une cuillérée d’harissa peu diluée et une majestueuse cuiller d’huile d’olive pour assurer la fusion des goûts et signifier la fin de cette symphonie.

Le marchand artisan derrière la comptoir où les saladiers sont alignés avec précision pour permettre à sa dextérité de s’exprimer devient l’artiste devant son clavier pour exprimer la qualité et les nuances de son oeuvre.

La dégustation peut ensuite commencer, chacun avec son style ou ses priorités, sa concentration et l’expression de sa jubilation, intime ou exubérante.

Je ne peux occulter l’existence de l’assiette tunisienne où tous les ingrédients entourent un œuf mollé dont la cuisson nécessite aussi un art constant.

Voilà ce que je voulais dire et transmettre au sujet du casse-croute tunisien dont la valeur peut perdurer grâce à la qualité des produits et la complicité généreuse entre artisan et client.

BON APPETIT ! 

Ce texte est une expression fidèle et joyeuse à une identité culturelle où entre autres le casse-croute dépasse la dimension banale d’une démarche alimentaire pour une identité plus gouteuse et plus mémorable.

Ce texte, ce récit a été favorisé par la lecture de l’article diffusé par le Docteur BOUBLI à qui j’exprime ma sympathie et mes remerciements à donner une dimension plus sérieuse et historique dépassant les frontières étriquées de ma mémoire.

Je veux encore renouveler mon empathie affectueuse à tout ce monde de gens simples, généreux, qui savent faire la fête avec peu, et partager avec une exubérance pleine de sincérité.

La variété des avis et leur fréquence est une source précieuse de la pérennité d’un culture.

Gilbert NAHUM MOATTY