Pourquoi les Juifs ne sont pas alcooliques (sauf à Pourim) ?
Telle est la question saugrenue qui m’a été posée par mon fils à l’occasion de la fête de Pourim, en voyant certains de nos coreligionnaires, habituellement sobres, boire de l’alcool de manière excessive.
Nos collègues américains et britanniques ont d’ailleurs l’habitude de délivrer des messages de prévention à l’occasion de Pourim en rappelant les risques inhérents à la conduite en état d’ébriété tout en insistant sur les dangers de la consommation excessive d’alcool chez les adolescents et chez les enfants.
L’alcoolisme chez les Juifs a toujours suscité de grandes interrogations de la part des médecins, d’autant que le vin est consommé non seulement pendant les fêtes religieuses mais aussi à toutes les grandes occasions qui jalonnent notre vie quotidienne. Les multiples études réalisées par les équipes médicales du monde entier ont établi que l’incidence des Juifs parmi les patients suivis dans les services d’addictologie restait extrêmement faible comparativement à la population non juive. Comment l’expliquer ?
Un élément de réponse a été donné avec les résultats d’une étude génétique réalisée par une équipe de San Diego. Il a été établi que de nombreux Juifs – près de 20% – avaient une mutation de l’ADN avec pour conséquence une modification de deux enzymes qui interviennent dans le métabolisme de l’alcool : l’alcool et aldéhyde déshydrogénase (respectivement : ADH et ALDH). En conséquence, les Juifs qui présentent cette mutation génétique ont tendance à accumuler en cas de consommation excessive d’alcool un métabolite toxique acétaldéhyde qui est responsable de rougeurs, de palpitations, de nausées et de vomissements (Alcohol Clin Exp Res. 2002 Dec;26(12):1773-8.).
Les porteurs de ce gène ont instinctivement tendance à consommer moins d’alcool contrairement aux non porteurs du gène qui éprouvent du plaisir à boire de l’alcool et donc par voie de conséquence à présenter un risque accru d’addiction à l’alcool… Cette mutation génétique qui touche un Juif sur cinq n’explique pas totalement la faible taux d’alcoolisme dans notre communauté. Bien entendu, l’environnement socio-culturel juif n’est pas de nature à encourager la consommation immodérée d’alcool alors qu’il est habituel de boire du vin à l’occasion des multiples rites qui émaillent notre pratique religieuse et des événements qui jalonnent notre vie (naissance, deuil, etc.).
La stigmatisation et la moquerie dont font l’objet les ivrognes (« shiker » en yiddish) dans la communauté explique en grande partie le nombre peu important de juifs alcooliques. Certains ont rappelé à ce propos que l’alcoolisme touchait plus souvent les Juifs qui sont confrontés à la difficulté ou à l’impossibilité de maintenir leur judéité, comme c’est le cas en particulier à l’armée ou à l’université à l’occasion des fêtes estudiantines.
En guise de conclusion, on peut tout de même rappeler que l’alcoolisme est un problème en Israël comme l’a établi une étude récente réalisée par la Hadassah School of Public Health de Jerusalem qui a rapporté une prévalence de l’addiction à l’alcool de 10,5% au sein de la population adulte juive en Israël (Eur Addict Res. 2021;27(5):362-370.). Comme quoi Théodore Herzl aurait du rajouter les alcooliques dans sa célèbre prophétie où il déclarait qu’il voulait créer un pays pour les Juifs, identique aux autres, avec des « policiers et des prostituées »…
Dr. Bruno HALIOUA