Le Covid ou la révolution rabbinique
Témoignage du rabbin Mikaël Journo, qui officie à la synagogue Chasseloup-Laubat, dans le 15ème arrondissement de Paris et Aumônier général israélite des hôpitaux de France.
Plus d’un an maintenant que la pandémie s’est installée dans notre vie quotidienne, et pas un jour sans qu’elle ne se rappelle à notre souvenir. Pas un jour sans que, en tant que rabbin d’une communauté parisienne, il soit nécessaire de tenir des discours aux antipodes de ceux tenus depuis toujours. En temps normal, un rabbin aspire à rassembler un maximum de fidèles à ses offices et communier avec le plus grand nombre de ses coreligionnaires, à inciter les jeunes et les moins jeunes à se réunir le temps d’une prière. Mais cette pandémie a bouleversé nos repères, nous obligeant parfois à déconseiller, voire empêcher les fidèles de fréquenter la synagogue et cela malgré un pincement au cœur perceptible chez tout le monde. Leur dire avec vigueur de « rester chez eux » pour ne prendre aucun risque et sacraliser la vie comme nous l’enseigne la Thora. Pendant un temps aussi et au grand désarroi des fidèles et surtout des plus seuls, les synagogues ont été fermées. Il fallut imaginer des solutions pour ne pas les abandonner à leur solitude et conserver un lien, une chaleur humaine en ces temps si difficiles : en ce sens les systèmes modernes de communication, parfois si nuisibles, ce sont avérés vitaux. Régulièrement, des zooms ont pu relier les membres des communautés qui le voulaient, qui permettaient et qui permettent toujours de se retrouver, prendre des nouvelles des uns et des autres, de prier ensemble. Bien sûr cela ne remplace pas la présence physique mais de cette façon les attaches ne se rompaient pas et ceux qui étaient seuls ou isolés trouvaient un réconfort.
Puis, lorsque les synagogues ont été rouvertes, il a fallu résoudre une autre contradiction : le respect de la jauge. Des règles précises ont été instituées pour empêcher des contaminations modifiant l’espace et l’organisation de la prière. Tous les fidèles ne pouvaient pas venir prier à la synagogue selon leur volonté : seule une poignée de fidèles pouvait être accueillie. Si le rabbin que je suis comprends cette nécessité de protéger tous ses membres et la défend, refuser l’accès à beaucoup d’autres m’est insupportable. Il faut dans ces cas-là concevoir des réponses, autant que faire ce peut, à l’attente des fidèles. Ce ne fut pas simple. Nos fêtes, si importantes, ont aussi été bousculées : par exemple, pour permettre au plus grand nombre d’écouter le choffar pendant Roch Hochana, des sonneries ont été réalisées sans interruption pendant les deux jours de la fête, en respectant la jauge et les contraintes sanitaires, pour accueillir successivement des petits groupes et qu’il n’y ait aucun déçu. Le Covid a changé le monde, mais il a également changé le monde communautaire et le travail des rabbins qui malgré tout, défendent depuis toujours la même valeur cardinale : la sacralité de la vie.
L’aumônier de l’hôpital agit dans les interstices
Autre paradoxe avec lequel il faut désormais composer : l’évaluation de la mission de l’aumônier. Aumônier général israélite dans plusieurs hôpitaux de France, j’ai rapidement été impliqué par la brutalité de l’arrivée de la maladie et ai reçu des informations qui bousculaient nos modes de pensée et d’action et les imprégnaient de paradoxes. Cette activité m’a permis d’être assez tôt sensibilisé aux dangers qui se profilaient, c’est la raison pour laquelle avant le premier confinement, le professeur Molina, professeur d’épidémiologie était invité dans notre communauté pour faire un état des lieux de la connaissance en la matière et des mesures qu’il était souhaitable de prendre. L’Association des Médecins Israélites de France (AMIF) m’a aussi apporté ses conseils et soutenu pour renforcer les pratiques les plus adaptées. Cette pandémie m’a obligé à reconsidérer certaines réalités quotidiennes et à m’efforcer de dépasser les paradoxes auxquels j’ai été confronté. Ecouter la peur, voir la maladie, la souffrance, être présent et répondre à la demande. L’aumônier doit pouvoir supporter des situations de souffrance qui ne le laissent pas insensible, se remet en cause et se relève, mais reste au service des autres comme l’indique l’étymologie du mot solidarité qui provient du latin solidus, c’est à dire solide, et il agit tel le bloc de béton où tous les éléments sont interdépendants.
Cette fois, c’était encore différent car l’hôpital devenait le cœur de l’inconnu, mais aussi le cœur du moteur, il fallait organiser des repas casher en nombre afin qu’ils soient distribués dans tous les hôpitaux en plein confinement, rassurer les malades alors que l’avenir proche était très incertain. Bien sûr cet épisode de l’histoire que nous traversons n’est pas terminé, mais la vocation rabbinique a de nouveau montré qu’elle essayait chaque fois au mieux, de s’adapter au monde même lorsque celui-ci s’arrêtait presque de tourner.