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Sommes-nous encore vivants ?

Article initialement publié dans Actualité Juive (9 Juin 2022)

Trois mois de guerre en Ukraine, deux ans de Covid-19, cinq ans à venir d’une nouvelle Présidence Macron… Si pour beaucoup, les 24 derniers mois ont été éprouvants, il va sans dire que – pour tous – 2019 paraît bien loin. Un autre siècle, un autre temps. Sans doute, quelque part, sommes-nous plus tout à fait les mêmes. Différents, sûrement. Résilients, peut-être. Ainsi, si « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », comme l’écrivait Nietzsche avec optimisme, d’aucuns penseront que l’inverse est d’autant plus vrai.

Depuis désormais deux ans, nous vivons avec un virus. Un ennemi. Ou plutôt, nous cohabitons avec lui. Un colocataire qui a réussi l’exploit d’être invisible tout en prenant beaucoup de place dans nos vies. Mais n’a-t-il finalement pas pris celle que nous lui avons sciemment cédée ? Alors, quand on pensait en être enfin débarrassé, voilà que Poutine, nostalgique de l’URSS, décide d’envahir l’Ukraine. D’une querelle de colocataires à un conflit de voisinage, il n’y a qu’un pas.

On pourrait aisément rire de cette formule si le Covid-19 n’avait pas tué plus de 6 millions de personnes dans le monde, quand la guerre en Ukraine a déjà fait plus de 15.000 morts et d’innombrables réfugiés. L’un des points communs de ces deux événements successifs réside dans notre manière de les appréhender. En réalité, nous les consommons. Médiatiquement d’une part, via notamment les chaînes d’information en continu, psychiquement d’autre part, au travers de nos craintes et de nos peurs, parfois partagées avec nos proches (Poutine utilisera-t-il l’arme nucléaire ?)

Au Centre du Sommeil de l’Hôtel-Dieu, je reçois en consultation de nombreux patients. Parmi eux, beaucoup présentent des troubles du sommeil depuis quelques mois. Quand je leur demande s’ils ont par eux-mêmes identifié les causes de ces troubles, la plupart évoquent « un climat » et « un contexte ». Leurs réponses ne me surprennent guère, plusieurs études viennent appuyer leurs dires.

A commencer par celle sur l’insomnie en temps de pandémie, dirigée par le Professeur Damien Léger, Chef de Service du Centre du Sommeil de l’Hôtel-Dieu. Celle de Santé Publique France, aussi, publiée le mois dernier, qui souligne que « la crise sanitaire a affecté de façon durable et importante la santé mentale de la population, en particulier en termes de symptomatologie anxio-dépressive et de problèmes de sommeil ». En conséquence, toujours selon cette étude, 10% des Français ont désormais des pensées suicidaires et 30% d’entre eux présentent des états anxieux ou dépressifs. Une enquête de l’IFOP, menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française, pointe le même constat : « la qualité du sommeil des adultes, important déterminant de santé et indicateur psychologique précieux, semble avoir été considérablement et durablement altérée par la pandémie ».

On comprend alors mieux l’énorme succès rencontré par la saison 2 de la série En Thérapie d’Olivier Nakache et d’Éric Toledano – adaptation française de la série israélienne Betipul – qui fait la part belle aux maux du confinement, en creusant les traumatismes liés au Covid.

Il va sans dire qu’il est complexe de faire complètement disparaître ces troubles qui se sont nourris avec le temps. Pour ce qui est de ma spécialité – le sommeil – les choses ne sont pas aussi simples que Napoléon l’affirmait : « un bon sommeil c’est quatre heures pour les hommes, cinq pour les femmes et six pour les imbéciles ». Néanmoins, des règles de bon sens et des solutions individualisées existent, permettant d’atténuer les effets de ces troubles.

Limiter sa consommation des médias est un bon début. Avez-vous déjà compté le nombre d’informations anxiogènes versus le nombre de nouvelles réjouissantes dans un journal télévisé ? La balance est nettement défavorable et ce n’est pas le grandiose Jubilé de la Reine Elizabeth II, au moment où j’écris ces lignes, qui me fera penser le contraire.

A cette réduction du temps d’écran, se conjugue une autre mesure, qui présente bien des avantages : l’activité physique. Le sport, ce n’est pas qu’à la télé.

Enfin, le temps pour soi, si cher à Marcel Proust, ne devrait pas nous paraître un luxe. Il n’a rien de superflu. Se donner du temps pour soi, c’est être acteur de ses jours… comme de ses nuits. Alors, comme l’écrit mon ami, le psychiatre et professeur Michel Lejoyeux dans son excellent ouvrage Les 4 Temps de la Renaissance, il faut savoir cultiver autant que possible le présent ainsi que le gérondif, « un temps désignant l’instant présent dont il est utile d’être conscient et que l’on peut déguster pour se resynchroniser ». La grammaire, ce n’est pas qu’à l’école.

Nul besoin d’une boule de cristal pour savoir que les crises perdureront, qu’elles soient de nature sanitaire, politique, économique… La vie est ainsi faite, les cycles sont voués à se reproduire. D’un point de vue politique, place à l’horizon 2027. Emmanuel Macron réélu, il est intéressant de noter que son nouveau ministère de la Santé s’intitule en réalité « Ministère de la Santé et de la Prévention ». Nul doute que derrière cette prévention se cache en partie la santé mentale des Français qui, au même titre que le sommeil et intimement liée à lui, constitue donc une priorité pour le nouveau quinquennat.

Dr. Jonathan TAÏEB