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Robert Badinter

Chronique Radio J. 15 février 2024

Robert Badinter rejoindra bientôt Simone Veil au Panthéon. Avec Jean Monnet, ils seront les seules personnalités politiques de l’après-guerre à avoir cet honneur. Une femme et un homme qui avaient la France et la justice chevillées au corps et qui proclamaient leur judéité sans réticence mais sans ostentation.

Il faut avoir vu l’émotion de Robert Badinter parlant de ses attentes au Lutetia à la recherche de son père déporté ou du Kaddish qu’il prononça en sa mémoire à Sobibor, où son père avait été gazé après avoir été arrêté en 1943 à Lyon par les agents de Barbie, au siège de l’UGIF dans la rue Sainte Catherine, un autre 9 février. « Je rêvais, je rêve toujours à mon père comme à un Juste, au sens le plus fort que les juifs donnent à ce mot. Sa mort m’était une blessure secrète, toujours à vif. Elle était le signe de l’injustice, toujours présente ».  

La lutte contre l’injustice fut le moteur de la vie de Robert Badinter.

Son père, qui avait changé son prénom Samuel en Simon à son arrivée en France, était un patriote convaincu. Son monde s’est effondré après la défaite inattendue, vite suivie du Statut des Juifs et de la spoliation de son entreprise de fourrure. Sa mère, Chiffra, née Rosenberg, devenue Charlotte, vénérait l’école française où elle avait réussi le certificat d’études. Elle s’était cachée avec ses deux fils près de Chambéry. Les Allemands remplacèrent la nonchalante occupation italienne, la Milice traquait les Juifs et son chef s’appelait Touvier, mais Robert Badinter a insisté sur le fait que dans la population de ce petit village de Cognin où chacun avait compris que Mme Charlotte Rosier et ses deux garçons étaient Juifs, personne n’a parlé.

Des « gens bien ». 

Ce ne fut pas le cas pour son oncle maternel, assassiné à Auschwitz comme d’autres membres de la famille, après avoir été dénoncé par une voisine désireuse de mettre la main sur ses meubles.  

Robert Badinter a laissé un merveilleux témoignage sur sa grand-mère maternelle. Idiss. Venue de son shtetl bessarabien, restée analphabète, elle ne vivait que pour l’amour des siens et était stupéfaite de la liberté des Juifs en France. Mais elle mourut en 1942 dans un Paris où l’antisémitisme était devenu bien pire que dans sa jeunesse tsariste.

D’autres plus compétents que moi ont qualifié de capitale l’œuvre de Robert Badinter comme Ministre de la Justice puis Président du Conseil Constitutionnel, sans compter son rôle à la tête d’organisations internationales, notamment lors de la guerre dans l’ex- Yougoslavie. Outre l’abolition de la peine de mort qu’il a beaucoup contribué plus tard à faire inscrire dans la Constitution, par un vote quasi-unanime du Congrès, il y a eu des lois sur la dépénalisation de l’homosexualité, sur les droits des victimes, sans parler des réformes des Codes. il avait été un avocat et un professeur de droit exceptionnel, mais aussi un historien, qui avec son épouse a fait revivre la grande figure de Condorcet. Ayant, comme Simone Veil la démagogie en horreur, Robert Badinter est devenu aussi une icône, après avoir, comme elle, été dénigré et même haï. En Allemagne, ils ont la bande à Baader, en France, nous avons la bande à Badinter, disait le célèbre général Bigeard. 

Il répugnait, a-t-il dit, à montrer ses plaies en public. A la commémoration annuelle de la rafle de la rue Sainte-Catherine, il vient mais reste presque toujours silencieux. Il a assisté en journaliste au procès Eichmann et, à une époque où celui-ci était attaqué, il a fortement défendu le principe de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. Non pas tant pour punir des hommes qui sont alors des vieillards (il soutiendra une libération anticipée de Papon, suscitant une réplique de Serge Klarsfeld), mais pour marquer clairement où est le mal. Ministre, il a contribué à l’extradition et au procès de Barbie, mais n’a pas voulu s’impliquer personnellement contre l’homme responsable de la mort de son père.

Plaidant contre Faurisson, Badinter l’appelle « faussaire de l’histoire ». 30 ans plus tard, attaqué lui-même par Faurisson en diffamation, il garde ce qualificatif dans une intervention très émouvante.

En 1992, à la commémoration du 50e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, où l’avait accompagné François Mitterrand, qui venait de refuser d’y reconnaitre la responsabilité de la France au motif que l’Etat français n’était pas la République, il pique une colère célèbre face aux sifflets destinés au Président.

Plus tard, quand les relations de Mitterrand avec Bousquet seront révélées, il aura avec lui une explication dont il dira qu’elle a été pénible pour les deux amis qu’ils étaient et ne voudra pas la rendre publique. Il épluchera avec colère ce procès de 1949 qui a transformé Bousquet en innocent, tout simplement parce que à l’époque on ne s’intéressait pas au sort des Juifs pendant la guerre.

« Quand vous êtes d’un naturel passionné, disait Robert Badinter, il vaut mieux être réservé et préserver votre passion pour le moment opportun ». A la fin de sa vie, c’est avec passion qu’il s’est exprimé contre la résurgence de l’antisémitisme. Il était interloqué par la dérive de Jean-Luc Mélenchon, qu’il avait côtoyé au Sénat. On sait que les LFI sont venus à la cérémonie d’hommage malgré la demande expresse de la famille. Marine Le Pen n’a pas eu cette inélégance.

En ce qui concerne Israël, où ses amitiés s’appelaient Peres ou Rabin et pas Netanyahu, il redoutait que les attentats monstrueux du 7 octobre ne marquent un échec de la mission historique de ce pays, être pour les Juifs une protection. 

Espérons que ses craintes ne seront pas fondées. Elles proviennent d’un homme qui a voulu se conduire en « homme bien » et qui mérite le qualificatif de Juste qu’il avait attribué à son père. 

Dr. Richard PRASQUIER

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