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Plaidoyer pour la sieste

Première parution : Actualité Juive du 20 octobre 2022
Par le Dr. Jonathan TAÏEB, Secrétaire Général de l’AMIF, Chef de Clinique du Centre du Sommeil à l’Hôtel-Dieu AP-HP

Winston Churchill le disait lui-même: « La nature n’a pas conçu l’humanité pour travailler de 8h00 à minuit sans lui accorder ce moment récupérateur béni, même s’il ne dure que 20 minutes, c’est suffisant pour retrouver toutes ses forces vitales ».

Si on lui posait la question, Albert Einstein se rangerait sans doute lui aussi du côté du « Vieux Lion ». Le physicien germano-suisso-américano-autrichien (excusez du peu !), dormait en effet jusqu’à 10 heures par jour et, en outre, ne se privait pas de plusieurs siestes éclairs régulièrement durant la journée. A l’instar de Salvador Dalí, il effectuait des micro-siestes avec une cuillère de métal dans la main qui tombait sur un bol s’il venait à s’endormir.

La micro-sieste évoquée ci-dessus (également donc appelée « sieste éclair »), désigne un bref moment de sommeil à l’effet récupérateur, rafraîchissant, que l’on s’accorde durant quelques minutes seulement au cours d’une journée. Elle dure moins de 10 minutes et avec un peu d’entraînement ou des techniques de sophrologie, peut être facilement mise en œuvre.

Elle fait partie des 3 types de sieste avec la « power nap » et la sieste récupératrice. Si cette dernière désigne une longue sieste d’1h30 à 2h qui permet d’effectuer un cycle de sommeil complet, la « power nap » (ou sieste d’énergie ») caractérise quant à elle une sieste relaxante comprise entre 20 et 30 minutes. Il s’agit d’un épisode de sommeil lent léger qui entraîne dans le cerveau la production d’ondes relaxantes bienfaisantes et qui permet de récupérer, sans sombrer dans le sommeil profond (qui peut quant à lui provoquer une inertie de sommeil, avec la sensation d’être encore plus fatigué après une sieste qu’auparavant). Le cœur ralentit, la respiration également, et au réveil, les capacités de vigilance et de concentration sont restaurées, tout comme l’humeur et les performances cérébrales. Cette sieste, que nous conseillons ardemment à l’Hôtel-Dieu, est notamment très utilisée par les navigateurs en solitaire, de surcroît lorsqu’ils passent 80 jours en mer…

Malheureusement, en France, nombreux sont ceux qui doutent des bienfaits d’une sieste réparatrice. A vrai dire, celle-ci est très peu instaurée dans notre culture. Pire, elle est souvent mal vue. Malgré ses attraits évidents, la sieste – qu’elle soit micro, éclair ou royale – est perçue dans nos traditions comme du temps volé à la journée de travail.

Il y a là un sacré paradoxe : si la sieste cohabite volontiers avec la petite enfance, les congés et la retraite, elle fait subitement désordre sur le lieu de travail. Ajoutons que si l’on se permet des pauses « cafés » ou des pauses « cigarettes », pourquoi n’envisagerions-nous pas des pauses « sieste » ? A contrario, en Chine ou au Japon, la sieste au travail dispose même d’un cadre légal et personne ne saurait, aujourd’hui, lui contester sa valeur ajoutée.

Toutefois en France, petit à petit, les choses viennent à bouger… C’est le cas dans plusieurs entreprises du CAC 40, notamment Orange, paquebot semi-étatique leader mondial des télécommunications, qui vient de permettre à ses employés, sur nombre de ses sites de production, de bénéficier d’une salle de repos. Il était temps ! Plus d’un Français sur trois se dit en déficit de sommeil et siester permet de combler à moindre coût cette « dette ». Cette pause contribue à minimiser stress, sautes d’humeur et manque de concentration. Elle augmente même la créativité et la productivité – de 35 % selon une étude de la Nasa -, accroît les capacités d’apprentissage et réduit les risques d’accidents de la circulation ou du travail.

Ce changement de dogme n’est pas étranger à la volonté de bon nombres de médecins français, dont je fais partie. Mon collègue Brice Faraut, chercheur en neurosciences, est également très investi dans ce plaidoyer – ce combat dirais-je même – pour la sieste. Comme il le dit lui-même, « si je veux gagner en vigilance et en performance, une sieste de vingt minutes est adéquate. Dès vingt minutes de sommeil, on constate une baisse significative des marqueurs de stress. Si je recherche des effets positifs d’un point de vue biologiques et physiologiques, la demi-heure est plus intéressante. Ce sont des effets à moyen et long terme. Avec trente minutes de sommeil, on constate une meilleure résistance à la douleur, des effets anti-inflammatoires et des effets positifs sur le système immunitaire ». Autrement dit, la sieste n’a pas seulement des effets bénéfiques immédiats, elle participe tout autant à une meilleure santé de l’organisme, à court, à moyen et même à long-terme ! A condition, bien évidemment, de la pratiquer au bon moment, c’est-à-dire suffisamment avant l’heure du coucher nocturne.

Enfin, n’oublions pas que la sieste a également toute sa place durant le Shabbat. Elle participe au repos et s’inscrit donc pleinement dans ce cadre afin, notamment, de récupérer la dette de sommeil accumulée pendant la semaine. Alors, on sieste ?