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Images de New York

« Êtes-vous Juif ? ». Le jour même où Patrick Klugman rappelait dans sa belle plaidoirie que l’antisémitisme était au centre de la furie assassine de Amedy Coulibaly qui avait imposé cette question aux clients de l’Hyper Cacher, je sortais de la Gare centrale de New York, avec mon fils et mon petit-fils, et on nous demandait : « Are you Jew ? ». J’avais sursauté, jamais on ne m’avait interrogé de façon aussi brutale. Pourtant ici, rien à craindre : étrog et loulav à la main, un jeune habadnik nous proposait de dire la prière du Shehehiyanou. 

Non loin, sur un poteau de signalisation, une photo du Rabbi de Loubavitch avec une phrase sur l’arrivée du Messie. Il y avait ces photos dans toute la ville, aucune n’était déchirée. 

Au centre de Manhattan près de la Bibliothèque de New York, était installée sur la rue même la Soukka du Rabbin Metzger, où une centaine de Juifs venaient déjeuner sans le moindre contrôle de sécurité…

En revanche, les petits étals de delicatessen, typiquement ashkénazes, portent désormais la mention halal. Ce sont les nouveaux immigrants…

A New York, l’immigration est partout. 

Le chauffeur de taxi ou le serveur haïtien, érythréen, dominicain, bengladais ou kosovar, qui a obtenu la nationalité après avoir réussi un test difficile de langue et d’histoire, s’approprie avec fierté le vieux rêve américain. 

De 1892 à 1924, ce rêve portait un nom, Ellis Island. Ce lieu, qui reçoit 2 millions de visiteurs annuels, a été réhabilité par une initiative associative privée, soutenue ensuite par les pouvoirs publics. C’est typiquement ainsi également que s’est construite la plus belle promenade de New York, celle de la High Line sur les débris d’une ligne de train abandonnée.

A Ellis Island, les procédures d’accueil des immigrés montrent comment une organisation administrative rigoureuse, humanisée par la présence d’associations privées de soutien aux immigrés, permettait d’envoyer dans les bons trains et au bon endroit un immigrant analphabète jamais sorti de son village, muni d’un papier avec l’adresse d’un proche, quelque part dans ce pays qui est un continent.   

En 1907, année record, 1.300.000 immigrants arrivent à Ellis Island, parmi eux 100.000 Juifs qui resteront pour la plupart à New York dans les quartiers pauvres de la Lower East Side. 

De telles masses vont engendrer des tensions ; la xénophobie ne frappe pas que les Juifs, mais aussi les Italiens catholiques venus du sud très pauvre de leur pays. Les quotas de 1924, en plein boom économique pourtant, vont favoriser les immigrants de pays où le modèle Wasp, blanc d’origine protestante, est plus fréquent, et les Universités prestigieuses vont subtilement gêner l’inscription des jeunes qui n’ont pas ce profil, les Juifs en particulier. Et puis, il y a l’antisémitisme virulent que propagent les journaux de Henry Ford, l’industriel le plus influent du pays.

Mais les Etats-Unis ont beau avoir été et être encore un pays violent, avec son contingent de racistes et d’antisémites, ils n’ont jamais connu de guerre de religion, contrairement à l’Angleterre, l’Allemagne ou la France. Les Juifs n’ont pas eu besoin d’y être émancipés car ils ont toujours été des citoyens comme les autres. D’ailleurs, Quakers, Amish, Mormons ou Satmar, les groupes cherchant l’entre-soi, souvent persécutés ailleurs, y ont été libres de s’organiser tant que leurs coutumes ne violaient pas la Constitution.

Cette remarquable indifférence recèle cependant un danger : une naïveté confondante face aux effets d’emprise et aux objectifs politiques de certains agendas religieux. Le choc du 11 septembre n’a pas suffi à intégrer la signification totalitaire de l’islamisme. Au nom de la liberté d’expression, l’Américain de bonne volonté risque d’ouvrir la route à ceux qui prêchent l’oppression religieuse. 

Tous les New Yorkais ne sont pas enfants d’immigrés. Si les descendants des tribus Lenape de la région de New York ne se rencontrent plus qu’au Musée de l’histoire indienne, le troisième groupe de peuplement, les descendants de ceux qui ont été amenés de force, les esclaves africains, a pris enfin sa place dans la mémoire américaine. La grande migration des Noirs qui fuyaient le Sud misérable et hostile vers New York et en particulier Harlem, n’est pas sans rappeler le voyage des Juifs fuyant à la même époque l’Empire russe, sa misère et ses pogroms. 

Malheureusement, loin des espoirs soulevés au temps de Martin Luther King et du showman Sammy Davies Jr., juif et noir, le mouvement Black Live Matters a dérivé vers une intersectionnalité des luttes où l’antisémitisme refait surface sous couvert de soutien aux opprimés…

Deux images de ce magnifique voyage, cadeau à un garçon dont la Bar Mitzva s’était déroulée il y a deux ans à Tel Aviv dans l’isolement du Covid… 

La première est celle d’une longue file d’attente, « made in USA » : l’organisation impeccable qui fait avancer la queue à une vitesse inespérée, associée au calme du public qui n’a pas l’idée de resquiller. 

La deuxième image, encore plus banale, c’est celle du ressort. Dans ma vie, j’ai vu les Américains dépassés par l’URSS dans la course spatiale, affolés par les émeutes raciales, désemparés par la crise de la jeunesse pendant la guerre du Vietnam, effondrés après le 11 septembre, stupéfaits devant la prise du Capitole par une horde surexcitée. A chaque fois, les Etats-Unis ont su rebondir.

Dans la très grave crise d’aujourd’hui, le Français et le sioniste que je suis, est heureux de compter les Etats-Unis dans notre camp, celui des démocraties, un camp qui serait bien faible sans la présence américaine…

Dr. Richard PRASQUIER

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