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Munich, le film de Spielberg

Je voudrais revenir sur l’attentat de Munich, cette-fois ci à propos du film de Steven Spielberg, que je n’avais pas vu à sa sortie en 2006 et que Arte a présenté le soir du 50e anniversaire.  

Ce film m’a mis mal à l’aise. 

Le chef de l’opération Colère Divine destinée à venger l’assassinat des athlètes israéliens est choisi par Golda Meir elle-même. Son petit commando inclut d’improbables amateurs et va travailler en autonomie totale. Les cibles palestiniennes seront localisées grâce à un groupe français découvert par hasard, qui travaille en famille et qui connait tout sur tout le monde, alors que le Mossad n’arrive pas à les identifier…Tout cela est l’ambiance des Aventuriers de l’Arche Perdue. Je n’aime décidément pas les reconstitutions romancées, encore que la prise des otages et certaines des opérations du commando soient décrites de façon très soigneuse et bien que Spielberg sache tenir le spectateur en haleine.

Dès la sortie du film, les spécialistes soulignaient qu’il s’appuie sur un livre canadien peu crédible dont la seule source était un faux ancien membre du Mossad. Ce livre avait déjà donné lieu dès 1986 à une série télévisée, l’Epée de Gideon, dont Spielberg, dont le film fut réalisé beaucoup plus tard, a repris la trame, sans même interroger aucun des protagonistes des événements réels.

La cible principale  était Ali Hassan Salameh, l’organisateur de la prise d’otages, dirigeant du Fatah et accessoirement correspondant de la CIA, qui dans le film échappe par deux fois au commando. L’homme a été tué par le Mossad à Beyrouth, mais six ans plus tard, et entre-temps Ahmed Bouchikhi, un Palestinien vivant à Lillehammer en Norvège avait été assassiné parce que les agents Israéliens l’avaient confondu avec Salameh. Cet épisode est absent du film de Spielberg, ce qui a soulevé la colère des Palestiniens. Cette occultation d’un dramatique échec du Mossad montre qu’il est injuste de qualifier le film d’anti-israélien, mais ne renforce pas sa crédibilité historique.

Ce qui a exaspéré beaucoup d’amis d’Israël, c’est le scepticisme qui s’empare progressivement des membres du commando par rapport à la justesse de leur cause, à la congruence de leurs objectifs avec la morale juive et à l’efficacité pratique de leurs actions, puisque les Palestiniens tués sont remplacés par d’autres encore plus extrémistes. Leur chef, Avner Kaufman dans le film, finit par développer une véritable paranoïa contre les autorités israéliennes. Spectaculaire, mais invraisemblable.

Spielberg est un cinéaste d’émotions et de sentiments simples et non un explorateur des complexités de l’âme humaine. Certains critiques ont écrit que Munich le fait changer de catégorie. Pour moi, les affres morales des membres du commando ne me paraissent ni crédibles, ni bien décrites. Mais peu à peu une petite musique s’insinue, celle d’une équivalence entre les terroristes palestiniens et les vengeurs israéliens ; d’autant plus qu’au niveau individuel, les Palestiniens pourchassés sont représentés de façon avenante, bon père de famille, poète modeste, voisin sympathique ou militant exemplaire.

La représentation de la complexité parfois tragique de l’action humaine est un thème essentiel de la haute littérature. L’Aube, le premier livre de Elie Wiesel, décrit le drame des représailles dans la tête de l’exécuteur. Mais le cinéma de Spielberg simplifie à outrance. Insister sur les ambivalences morales du meurtrier risque d’éluder la responsabilité de la victime. On oublie que ces hommes que le commando pourchasse ont été responsables, de leur bureau parfois, d’assassinats d’innocents, que la justice internationale est impotente et que Eichmann serait mort en paix si les Israéliens ne l’avaient pas capturé. Chercher des équivalences est une autoroute pour les amalgames. Au bout de cette autoroute  il y a M. Abbas qui prétend qu’Israël a commis cinquante holocaustes contre les Palestiniens.

On n’a pas le droit d’accuser Spielberg d’une pareille dérive. Peu d’hommes ont fait autant que lui pour la mémoire de la Shoah et le soutien au judaïsme. Il a de plus souvent manifesté sa solidarité avec Israël et les dialogues du film mettent à juste titre en exergue le choc psychologique immense que fut l’assassinat de ces athlètes juifs désarmés sur un territoire allemand et la nécessité existentielle pour Israël de réagir sans faiblesse. 

Mais lorsque dans la scène finale, Avner Kaufman refuse de retourner en Israël et que son officier traitant refuse l’offre de partager avec lui le pain de la réconciliation, l’image se forge d’une rupture irrémédiable dans le monde juif entre deux camps antagonistes. Et les deux Tours encore intactes qui se projettent dans le ciel de New York semblent nous dire que l’un de ces deux camps partagera la responsabilité de leur destruction. J’ai trouvé cette allusion insupportable.

Je suis tenté d’attribuer ce durcissement de posture à l’influence de Tony Kushner, le scénariste du film. Contrairement à Spielberg, c’est un vrai militant politique. C’est aussi un des écrivains les plus prestigieux des Etats-Unis, et l’auteur de la pièce emblématique des années Sida. Issu de ces familles juives d’Europe centrale surexploitées dans les ateliers de l’East Side de New York, il y a comparé  le sort des malades du Sida et des homosexuels sous Reagan à celui de Ethel Rosenberg et des victimes du Maccarthysme. Le judaïsme qu’il revendique est celui du Tikun Olam, du soutien au BDS et à la convergence des luttes. Il ne peut admettre un Etat d’Israël que si celui-ci garde les mains absolument pures. Il représente typiquement un courant montant de la bien-pensance du judaïsme américain.

« Ils ont les mains propres, mais ils n’ont pas de mains », avait écrit le prophétique Charles Péguy. 

Dr. Richard PRASQUIER

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