
Une nauséabonde cuisine génocidaire
Sur la chaine LCI on montre la destruction d’une tour de Gaza et le journaliste Gallagher Fenwick dit que ce sera une pièce dans le dossier de génocide contre Israël. «Vous voulez dire crime de guerre», corrige Anne Nivat, qui conduit l’émission. «Non, je dis bien génocide», rétorque Fenwick, «vous n’avez qu’à lire les alinéas a, b, c, d, e de l’article 2 de la Convention de l’ONU sur le génocide du 9 décembre 1948.»
Interloqué, je relis cet article: «On entend par génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel:
Alinéa a: Meurtre de membres du groupe
Alinéa b : Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
Alinéa c: Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
Alinéa d: Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
Alinéa e: Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe»
Si je comprends bien, la destruction de cette tour est un génocide, car elle prive ses habitants, tués ou non, de leurs conditions d’existence en tant que groupe, alinéa c de l’article 2. Les habitants d’un immeuble ne font pas partie des quatre catégories indiquées dans l’article 2, mais je suppose qu’il se réfère au fait qu’ils sont aussi membres du groupe national palestinien, du groupe ethnique arabe et probablement du groupe religieux musulman. Je ne parle pas de groupe racial, cela ne fait pas partie de mon vocabulaire ni, je le pense, de celui de M. Fenwick.
Encore faudrait-il qu’ils aient été visés intentionnellement, alors que les Israéliens préviennent les habitants et leur laissent le temps de partir, une première dans l’histoire des guerres. Je suppose que le journaliste considère que lorsque ils bombardent un immeuble, ils le font avec préméditation et que cela suffit pour affirmer l’intentionnalité.
J’en conclus que pour M. Fenwick, bombarder un immeuble habité par une population homogène au point de vue national, ethnique ou religieux, c’est commettre un génocide. Peu importe d’ailleurs que cet immeuble serve , comme les tours de Gaza, de local d’observation pouvant être utilisé à titre militaire.
Je pense à Grozny rasé par les Russes en 1995 et de nouveau entre aout 1999 et mai 2000. Je pense à Alep bombardé par Assad et les Russes entre 2012 et 2016 et détruite à 80%. Je pense à Mossoul bombardé entre octobre 2016 et juillet 2017, puis Raqqa entre juillet et octobre 2017 par une coalition dont la France faisait partie. Je pense aussi à Bizerte, que l’armée française avait pilonnée pendant cinq jours en 1961 en laissant plus de 600 morts et des centaines de bâtiments détruits, parce que Bourguiba voulait mettre un terme à la base navale française.
On avait fabriqué lors de la guerre de Yougoslavie le terme de «urbicide» pour définir les destructions systématiques d’immeubles, terme technique encore utilisé par les spécialistes, mais jamais à ma connaissance une destruction d’immeuble au cours d’une guerre n’a été qualifiée d’acte génocidaire. Pour cela il a fallu attendre M.Gallagher Fenwick, journaliste expert à LCI.
Il avait dans sa manche une déclaration faite par un groupe d’autres experts. Et quels experts! Rien moins que l’Association Internationale des chercheurs sur le génocide, l’IAGS, qui a publié le 1er septembre une résolution suivant laquelle les actions d’Israel à Gaza entrent dans la définition légale de génocide. Le prestige académique de cette Association a été immédiatement souligné par la BBC, le Guardian, le New York Times et la porte parole de M. Gutteres, secrétaire général de l’ONU. Elle avait poussé le scrupule à faire voter ses membres sur cette grave question et le résultat était sans appel: 85% d’entre eux considéraient qu’Israel commettait un génocide à Gaza.
J’avais honte de ne pas avoir entendu parler de l’IAGS. Mon ami Michel Gurfinkiel m’a déculpabilisé: l’IAGS est une fumisterie.
Cette association, présidée par une juriste australienne qui avait déjà publiquement accusé les Israéliens de commettre un génocide à Gaza, a été créée il y a trente ans par des historiens et des politistes, parfois survivants eux-mêmes de la Shoah, soucieux d’analyser les génocides de façon comparative pour y déceler des mécanismes communs. Puis les générations passant, ils furent remplacés par des activistes moins axés sur le passé que sur la dénonciation du présent. On a découvert qu’il n’y a rien de plus facile que de devenir un membre de l’IAGS, y compris sous une identité farfelue et que les membres ayant accusé Israël de génocide ne représentaient que 120 membres environ sur les 500, inconnus d’ailleurs, que revendique cette Association.
D’un journaliste professionnel on exige qu’il vérifie ses sources. M. Fenwick ne l’a pas fait, les journalistes du Guardian (qui qualifiait l’IAGS de «top scholars», de la BBC («leading scholars»), du New York Times («leading group of academic experts”) et consorts ne l’ont pas fait non plus. Les uns se sont reposés sur la déclaration des autres et ils s’en sont contentés parce que cela venait conforter leurs propres préjugés.
L’IAGS prend pour argent comptant les déclarations les plus outrancières de Amnesty International qui a réécrit les critères de génocide pour mieux accuser Israël et de Francesca Albanese dont l’antisémitisme est patent. Dans son long rapport l’IAGS accuse Israël de tous les crimes, y compris des calomnies de caniveau, viols et crimes sexuels, mais elle ne cite qu’une seule fois et de façon absolument anodine le Hamas et les otages.
Le 5 septembre un collectif nommé Scholars for Truth about Genocide a publié un texte réfutant point par point les allégations de l’IAGS. C’est une très remarquable et très rapide réaction, qui porte plus de signatures, et des signatures vérifiées que l’IAGS , mais le mal est fait et je ne vois pas M. Gallagher Fenwick faire son mea culpa.
Cette histoire est emblématique, la captation d’une organisation scientifique par des militants idéologisés, le rebond en tremplin d’une fausse assertion servant de justification à une autre fausse assertion, la mise à l’écart par ceux dont c’est le métier d’informer, d’informations qui contreviennent à leur vision du monde et la décision de ne jamais s’excuser de ses erreurs, car on oublie l’erreur, mais on n’oublie pas les excuses.
En un mois on a démontré que les accusations portées par un ex-agent du Fonds Humanitaire de Gaza sur les assassinats de civils gazaouis par les soldats israéliens à proximité des centres de distribution de nourriture étaient un mensonge, que les photos d’enfants gazaouis mourant de faim étaient des mensonges, que les données sur lesquelles l’IPC s’appuyait pour déclarer la famine à Gaza étaient extrêmement problématiques. Rien n’y fait. «La calomnia è un venticello» , dit don Basilio dans l’air célèbre du Barbier de Séville, la calomnie est une petite brise, mais elle prend de la force; peu à peu, elle vire à la tempête et la victime infortunée finit par mourir.
Quand l’Afrique du Sud accusa Israël de génocide devant la CIJ, on pensait à une mauvaise plaisanterie, tellement les arguments, notamment ceux sur l’intentionnalité, étaient minables. Lorsque la Cour rendit sa décision, on prétendit qu’elle avait avalisé le génocide, alors que ce n’était pas le cas. Sa Présidente d’alors, Ms Joan Donaghue, s’en est récemment expliquée. Ce que la Cour a voulu dire était que les Palestiniens avaient des droits «plausibles», au sens anglais, autrement dit des droits défendables, à prétendre qu’ils étaient victimes d’un génocide mais en aucun cas elle n’a déclaré qu’il était plausible (au sens français) qu’un génocide fût effectué contre eux. Mais ceux qui accusent Israël n’ont que faire de ces distinctions.
Aujourd’hui, la perception s’étend dans le public, et notamment chez les jeunes, qu’Israel commet un génocide et que ceux qui le soutiennent sont complices Certains Juifs eux-mêmes en sont tourmentés. Des organisations israéliennes d’extrême gauche comme Betselem et Israeli Physiciens for Human Rights, l’historien de la guerre Omer Bartov et le grand écrivain David Grossman ont accusé Israël. Il n’est pas question de nier la tragédie qui frappe la population de Gaza, mais il ne peut pas être oublié que le grand responsable en est le Hamas et que comme on l’a vu une grande partie des accusations qu’on porte contre Israël sont tout simplement des mensonges.
Ceux qui par méticulosité intellectuelle considèrent que certains comportements des Israéliens entrent dans une définition juridiquement élargie de génocide ne devraient cependant pas oublier que Israël est aujourd’hui en proie à une tempête de calomnies et que leur parole sera exploitée. Quelles que soient leurs critiques sur tel ou tel aspect de la politique israélienne, il est indécent d’alimenter une telle curée mensongère qui fait dire sans honte à certains que Gaza, c’est Auschwitz…
Dr. Richard PRASQUIER