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Escapade Catalane

Le Haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell, un anti-israélien invétéré comme l’étaient ses prédécesseurs à ce poste, Mesdames Federica Mogherini et Catherine Ashton, a déclaré que les propositions iraniennes à Vienne sont très raisonnables et qu’il serait criminel pour les Américains de les refuser.

Josep Borrell a passé sa carrière à Madrid au sein du PSOE, le Parti socialiste espagnol, mais son nom est typiquement catalan et il n’aurait pas déparé à la brochette de députés du Parlement catalan qui viennent de voter une résolution affirmant qu’Israël commet un crime d’apartheid contre les Palestiniens. Ce texte est sans conséquence pratique, il ne parle pas de boycott, ce qui serait illégal au regard de la loi espagnole, et il ne s’agit que d’un Parlement régional.

Mais c’est une première en Europe et le mouvement BDS l’a évidemment accueillie avec enthousiasme. 

Comme j’étais en Catalogne, je me suis demandé qui avait voté cette résolution, qui est évidemment une métastase du scandaleux rapport récent de Amnesty International et qui rappelle le texte tout aussi scandaleux déposé à l’Assemblée Nationale française, qui, lui, n’a heureusement aucune chance d’être accepté. Y a-t-il une spécificité catalane dans la détestation anti-israélienne?

Disons-le d’emblée, cela ne me semble pas être le cas, du moins pas encore. Ce sont, sans surprise, des partis qui formeraient la NUPES en France, le Parti socialiste, la gauche radicale et les indépendantistes de gauche qui ont voté le texte.

Vox, le parti d’extrême droite, s’est abstenu, Ciudadanos, le parti modéré libéral, est en pleine déliquescence. Mais le seul parti qui a voté contre cette résolution est Junts per Catalunya, Ensemble pour la Catalogne, un parti indépendantiste de longue tradition historique, même si son nom a souvent changé. C’est le parti de Carlos Puigdemont, l’homme qui en octobre 2017 avait essayé de promouvoir l’indépendance de la Catalogne et qui est aujourd’hui réfugié en Belgique sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Puigdemont est l’héritier de Jordi Pujol, dont l’immense réputation a sombré aujourd’hui dans des affaires de corruption et de krachs bancaires, mais qui a symbolisé la renaissance de la Catalogne moderne, qu’il a gouvernée entre 1980 et 2003.

Pujol ne cachait pas son admiration pour le sionisme. Il comparait la ferveur nationale des Israéliens à celle des Catalans, soumis aux diktats de Madrid depuis l’échec de révoltes successives, dont la longue révolte des Faucheurs suivant les années 1640, dont la mémoire est réactivée dans le chant national catalan, Els segadores, les moissonneurs. 

Mais il comparait aussi les qualités personnelles des Juifs à celles des Catalans, habitant une région devenue la plus évoluée d’Espagne grâce au dynamisme de ses entrepreneurs. 

Et il évoquait évidemment cette survie d’une langue opprimée, le catalan, glorieux au Moyen-Âge et longtemps interdit dans toutes les activités publiques. Alors qu’elle n’était plus parlée que par les paysans, sa renaissance qui est liée au mouvement culturel de la fin du XIXe siècle est contemporaine de la renaissance de l’hébreu, mais aussi du yiddish littéraire; quant à sa codification par des linguistes rigoureux, elle fait penser à l’œuvre de Ben Yehuda et de ses disciples pour l’hébreu. Le catalan est aujourd’hui compris et parlé par la grande majorité des habitants de Catalogne de toute origine, même à Barcelone qui est un melting pot ethnique ouvert sur le monde. Mais il est vrai que chacun parle aussi l’espagnol qu’on appelle ici le « castillan », et le catalan est la plus importante langue européenne qui ne soit pas une langue officielle de l’Europe. 

Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur ce type de comparaisons approximatives entre les Catalans et les Juifs. Au moins montrent-elles qu’il existe encore chez les indépendantistes politiquement non gauchistes une sensibilité à la spécificité israélienne.

En face, pour la majorité de l’Assemblée catalane, qui a voté cette résolution sur l’apartheid, il y a une palette de motivations outrageusement simplificatrices, mais politiquement efficaces, qui tournent autour de l’image d’une Catalogne victime des machinations du capitalisme mondial. 

Outre l’argumentation socio-économique, il y a les motivations psychologiques. Le sentiment répandu d’être méprisés par le gouvernement de Madrid et d’être taxés de façon disproportionnée est aujourd’hui le vecteur essentiel du mouvement  indépendantiste, puisque les revendications culturelles sont globalement acquises. 

Il n’est pas impossible qu’en votant contre l’apartheid israélien certains députés aient pensé à un apartheid madrilène. Car bien entendu, le victimisme qui incite aujourd’hui à mesurer tous les ressentiments à l’aune du malheur palestinien est un terrain fertile pour l’israélophobie. 

Tout cela survient dans une région enviée pour sa prospérité par le reste de l’Espagne, ce qui conduit à s’interroger sur la facilité avec laquelle on peut manipuler dans la psyché des individus des sentiments de discriminations et d’humiliation . 

Au regard de ce qui se passe dans les vraies dictatures, nous devrions pourtant analyser plus finement les notions de liberté et les accusations d’apartheid. Le moins qu’on puisse dire, c’est que beaucoup n’en prennent pas le chemin.

Dr. Richard PRASQUIER

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