
Iran: le cessez-le-feu et après…
C’était il y a une éternité, un peu moins d’une semaine. Dans la nuit du 20 au 21 juin, 7 bombardiers B2 Spirit quittent leur base du Missouri. Alourdis par leurs 27 tonnes d’armement, deux bombes GBU 57 conçues pour pénétrer des bunkers profondément enfouis, les avions vont suivre, à vitesse de croisière réduite, un trajet de 18 heures avec 2 ravitaillements en vol. Au-dessus du territoire iranien, accompagnés d’une flotte de protection, ils bombardent les sites d’enrichissement de Fordo et de Natanz et le centre de recherches de Ispahan. Ce centre convertissait l’oxyde d’uranium en hexafluorure, la forme d’uranium qu’on insère dans les centrifugeuses pour l’enrichissement, mais il servait aussi aux recherches métallurgiques délicates pour le déclenchement adéquat de l’explosion nucléaire.
Mission accomplie. Déroulant une chorégraphie parfaite, les bombardiers américains sont rentrés à leur base sans un accroc, symboles d’une hyperpuissance américaine retrouvée, Bonnet rouge sur la tête, Make America Great Again. Donald Trump annonce que les sites nucléaires iraniens sont totalement anéantis. Le monde est soudain devenu plus léger. Trump salue Israël. De fait, en supprimant les possibilités de riposte, les Israéliens avaient assuré le succès du bombardement américain. Netanyahu avait diplomatiquement laissé Donald Trump s’attribuer la gloire de ce succès retentissant. Des affiches: «Merci Monsieur le Président» couvraient les murs d’Israël.
20 heures plus tard, Trump annonce sur son réseau social qu’un accord de cessez-le-feu entrerait en vigueur le lendemain à 06h. Dans l’intervalle les Israéliens poursuivent les bombardements sur les installations militaires iraniennes. Les Iraniens envoient en représailles des missiles sur des installations civiles en Israël. L’un d’eux entraine cinq morts à Beersheva. La colère du Président américain est tombée sur les Israéliens qui n’avaient pourtant pas violé la lettre de son horaire de cessez-le-feu. Quant à l’Iran, que Trump avait déjà remercié de ses bonnes manières, puisqu’il avait prévenu avant de bombarder la base américaine de al-Udeid au Qatar, il a été encouragé à redevenir une grande nation commerciale. Changement d’aillances? MIGA? Make IRAN grand again? Trump n’est pas suspect d’affinités avec les mollahs iraniens, il cherche à éviter le krach boursier résultant de la fermeture éventuelle du détroit d’Ormuzd , il a des relations de proximité avec le Qatar et avec Erdogan, mais ses liens avec Israël sont déterminants et on sait que beaucoup des mots qu’il prononce ne sont que des «paroles verbales»……
La réalité de l’anéantissement des centres de Fordo, de Natanz et Ispahan est mise en doute et le site construction au Sud de Natanz profondément enfoui dans une montagne du Zagros n’est même pas mentionné. Si les experts s’accordent à dire que les dommages sont massifs, les Iraniens prétendent qu’ils vont rapidement les réparer. Ils disent aussi d’ailleurs que le cessez-le-feu traduit leur victoire sur un ennemi israélien plongé dans la terreur, ce qui témoigne de l’exceptionnelle capacité au mensonge du régime de mollahs, que certains de nos hommes politiques considèrent comme un partenaire diplomatique comme un autre;
De fait, il est très vraisemblable que l’uranium enrichi au-dessus de 60% dont on rappelle qu’il n’a pas d’autre fonction que militaire, avait été retiré par précaution avant les bombardements. Suivant les experts, il y en aurait assez pour une dizaine de bombes atomiques. Le problème non encore résolu par les iraniens serait celui de la réalisation technique d’une ogive à uranium qui puisse être lancée avec une fiabilité et une efficacité suffisantes à partir d’un missile balistique ou d’un missile de croisière. Plusieurs spécialistes en ce domaine ont été éliminés par les frappes israéliennes.
L’offensive israélienne, qui avait un caractère préventif, était indispensable. Elle a changé la donne au Moyen Orient et l’aide américaine, dont Donald Trump est le symbole, mais qui correspond aussi aux considérations stratégiques des experts militaires, a levé une très lourde hypothèque. A ce qui est publié aujourd’hui par les sources les plus fiables, en tenant compte des exagérations dont est coutumier le président américain, mais aussi de la volonté de certains organes d’information de minimiser, pour des raisons de positionnement idéologique, les succès «américano-sionistes», on peut raisonnablement conclure que le programme nucléaire iranien a subi des coups extrêmement durs et inespérés jusque-là. On peut en redouter aussi que des fragments importants de ce programme (préservation de matériel fissile, lanceurs non détruits, compétences scientifiques et techniques existantes) sont encore disponibles. Leur mise en œuvre éventuelle dépend en grande partie de l’efficacité des contrôles. Or le régime iranien, qui vient d’ailleurs de couper les relations avec l’IAEA, a joué efficacement au chat et à la souris avec cette organisation pendant de nombreuses années, continuant ses enrichissements, déplaçant ses activités et surtout en interdisant l’accès à certaines zones ou à certains centres. Les pays garants des accords se sont satisfaits à peu de frais des conclusions forcément incomplètes et ambiguës de l’AIEA, alors que les manœuvres du régime iranien pour masquer cette évidence qu’on ne construit pas des installations à 100 m sous une montagne pour y mettre une usine de fabrication d’isotopes radioactifs à usage médical n’ont pas suscité, en dehors du départ des Etats Unis du JCPOA en 2018, le mécanisme de «snap-back» (reprise des sanctions en cas de non-respect des accords ) qu’il aurait dû légalement entrainer, mécanisme qui de toute façon va s’achever à la fin de l’année 2025 laissant alors toute liberté à l’Iran.
Le régime iranien, qui ne peut plus compter comme il l’a fait auparavant sur ses redoutables proxies, sort de cette «guerre des douze jours» affaibli et passablement ridiculisé, malgré les félicitations qu’il a reçues du Hezbollah, du Hamas et des Houthis pour ses «divines victoires». Son prestige extérieur est atteint et la peur qu’il y suscite sera, on l’espère, très amoindrie. On doit admirer le professionnalisme extraordinaire des services de renseignement et de l’aviation israélienne et rendre hommage à la lucidité de Benjamin Netanyahu, qui toute sa vie politique a considéré le régime des mollahs iraniens comme «le» danger existentiel pour Israël et qui a su tirer avantage d’une conjoncture favorable. N’oublions pas que, il y a 18 mois, Israël était face à sept fronts menaçants et qu’il a su les affaiblir considérablement les uns après les autres.
Il reste que le régime iranien ne s’est pas évaporé et que ses organes de répression n’ont pas été oblitérés. Ils ne le seraient d’ailleurs pas si le Guide Suprême Khamenei, un criminel dans tous les sens du terme, disparaissait. L’homme n’a jamais suscité la même dévotion que son prédécesseur et il est incapable de fomenter et d’incarner un mouvement de résistance populaire dépassant les limites des bénéficiaires du régime.
Il n’en reste pas moins que la violence de ce régime envers ceux qui le contestent (85% de la population, dit-on) risque d’augmenter encore, aussi bien contre les minorités que contre les très nombreux Iraniens désireux de vivre dans un pays démocratique. Un narratif de trahison se développe ; il sert d’explication commode aux innombrables défaillances militaires et permet de sévir encore plus et encore plus vite. Des milliers d’Iraniens auraient déjà été arrêtés sous ce motif depuis 12 jours et on peut s’attendre au pire.
Nous avons été abreuvés de doctes rappels sur les échecs de changement de régime imposés de l’extérieur. Il est vrai que les expériences en milieu musulman sont cinglantes. Encore faut-il analyser chaque situation dans sa diversité religieuse, ethnique, politique, culturelle et historique. En Iran il existe un peuple tout entier, avec des élites de haut niveau, qui aspire à ce dont nos peuples disposent avec une désinvolture négligente, la liberté.
Sans un changement de régime, il n’y aura pas de paix dans la région. Que l’Iran des mollahs tel qu’il est aujourd’hui, et en particulier ses Gardiens de la Révolution, ne soit pas mis depuis longtemps au ban des nations en dit long sur l’histoire de nos propres compromissions..
Dr. Richard PRASQUIER