
Hermann Graebe, les leçons d’un Juste oublié
Le député LFI Aymeric Caron a écrit sur son compte X le 26 mai 2025 :
«Ce qu’on peut dire sans trop se tromper, c’est qu’il y a peu de différence entre l’armée israélienne et celle de l’armée nazie».
Puisque la journée commémorative du 20 juillet honorait aussi les Justes, je vais rendre hommage à un Allemand qui a vu l’armée nazie en action pour répondre à cette phrase qui est une ignominie.
Il y a quarante ans, Yad Vashem décerna le titre de Juste des Nations à Hermann Graebe. Les seuls Allemands à avoir alors reçu ce titre attribué depuis peu étaient un industriel de Cracovie et un héroïque soldat de la Wermacht, Anton Schmidt, fusillé par la Gestapo pour l’aide qu’il avait apportée aux Juifs.
Hermann Graebe, quand il planta un des premiers arbres de l’allée des Justes, venait de San Francisco. Depuis 1948 il s’y était exilé car sa vie était menacée en Allemagne.
Nous sommes à Nuremberg le 26 juillet 1946 au procès des dirigeants nazis, et c’est au Procureur anglais de parler. Pendant plusieurs mois de débats, on n’avait guère entendu les victimes. La justice de l’époque était focalisée sur la preuve écrite et se méfiait de toute irruption de subjectivité dans l’enceinte du tribunal. Ce n’est, comme l’écrira Annette Wieviorka, que quinze ans plus tard avec le procès Eichmann que commencera l’ère du témoin. Mais cette après midi-là, sir Hartley Shawcross insère dans son réquisitoire des fragments d’un témoignage déposé par un ingénieur allemand devant les autorités Alliées. Hermann Graebe travaillait dans une entreprise d’infrastructures ferroviaires dans la région de Lwow en Ukraine, alors occupée par l’Allemagne après l’invasion de l’URSS.
Le 5 octobre 1942 il était à l’aérodrome de la petite ville de Dubno quand des Juifs de la localité y ont été amenés. Voici ce qu’il écrit:
«Le chef d’équipe et moi-même sommes allés directement vers les fosses. Personne ne nous en a empêchés. Les gens qui étaient descendus des camions – des hommes, des femmes et des enfants de tout âge – ont dû se déshabiller sur ordre d’un SS qui tenait une cravache. Ils ont dû déposer leurs vêtements à des endroits précis, triés selon leur nature. Sans crier ni pleurer, ces gens se déshabillaient, se tenaient groupés en familles, ils s’embrassaient, se disaient adieu et attendaient un signe d’un autre SS qui se tenait près de la fosse, tenant un fouet dans sa main. Durant les quinze minutes où je suis resté, je n’ai entendu aucune plainte ou demande de grâce. Je regardais une famille de huit personnes, un homme et une femme avec deux grandes jeunes filles. Une vieille femme aux cheveux blancs portait un enfant âgé d’un an tout en lui chantant et le chatouillant et le bébé gazouillait avec délice. Les parents regardaient, les larmes aux yeux. Le père tenait par la main un garçon d’environ dix ans et lui parlait doucement, tandis que l’enfant retenait ses larmes. Le père a montré le ciel, lui a caressé la tête et a semblé lui expliquer quelque chose.
À ce moment là, le SS près de la fosse a crié à son camarade. Celui-ci a compté une vingtaine de personnes et leur a ordonné d’aller derrière la butte de terre. Parmi eux se trouvait la famille que je viens de décrire. Une jeune fille passant devant moi, s’est désignée et a dit: « vingt-trois ans ».
J’ai contourné la butte et je me suis trouvé devant une fosse épouvantable. Les gens étaient empilés les uns sur les autres et seules leurs têtes , d’où le sang coulait, étaient visibles. Certains bougeaient, levaient les bras et tournaient leur tête. La fosse était pleine presque aux deux tiers. J’ai estimé qu’elle contenait un millier de personnes. J’ai regardé l’homme qui avait procédé aux exécutions. C’était un SS, assis au bord de l’extrémité étroite de la fosse, les pieds ballants dans la fosse. Une mitraillette sur ses genoux, il fumait une cigarette. Les gens, entièrement nus descendaient quelques marches dans la paroi de la fosse et grimpaient sur la tête de ceux qui gisaient déjà là, vers où le SS les dirigeait. Ils se couchaient face aux morts ou aux blessés, certains caressaient ceux qui étaient encore en vie et leur parlaient à voix basse. Alors j’ai entendu une série de coups de feu. J’ai regardé dans la fosse et j’ai vu que les corps frémissaient ou que les têtes gisaient déjà, immobiles au-dessus des corps couchés dessous. Le sang coulait de leur nuque. Le groupe suivant s’approchait déjà. Ils sont descendus dans la fosse, se sont alignés par dessus les victimes précédentes et ont été abattus.»………
Hermann Graebe ne s’était pas contenté de témoigner. Il avait agi dès avant le massacre de Dubno pour protéger les Juifs employés par son entreprise, leur obtenir des «certificats d’indispensabilité», si besoin les cacher ou, plus tard,, les mener lui même à grands risques personnels vers des lieux où ils pouvaient rejoindre les troupes soviétiques.
En octobre 1947, son témoignage fut lu de nouveau au procès des chefs des Einsatzgruppen, ces unités qui ont assassiné probablement plus de 2 millions de personnes, ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah par. balles. Yahad in Unum, l’équipe de Patrick Desbois, continue de recueillir les paroles des témoins ukrainiens survivants, qui corroborent parfaitement ce que Hermann Graebe a écrit.
Mais son témoignage eut pour lui et sa famille des conséquences dévastatrices. Dans l’Allemagne d’après guerre, imprégnée de propagande raciale, dont douze années d’endoctrinement fanatique, la population ne voulait pas accepter de responsabilité. Les grands dirigeants avaient été pendus, ce n’était qu’une justice des vainqueurs, mais au fond, il y avait une logique, car ces hommes n’avaient pas su éviter la défaite. Mais les chefs des Einsatzgruppen, ces officiers patriotes, ces intellectuels fidèles à leur serment d’obéissance, seul un traitre pouvait s’en prendre à eux. Les accusations resurgiront plus tard, en 1966, quand Hermann Graebe fut vicieusement accusé de faux témoignage dans une cabale à laquelle s’associa le journal le plus célèbre de l’époque, le Spiegel. Il ne retourna jamais dans une Allemagne qui continue de n’accorder à cet homme admirable qu’une chiche reconnaissance, peut-être parce qu’il n’a pas trouvé son Spielberg.
L’histoire de Hermann Graebe nous amène à quelques brûlantes considérations.
La première, c’est qu’elle révèle ce qu’est un génocide. Je ne parle pas ici de la définition légale, par laquelle, suivant un spécialiste, on pourrait légitimement appeler génocide l’assassinat prémédité de trois individus du moment qu’il est effectué parce qu’ils appartiennent à un groupe national, ethnique, racial ou religieux donné. Non, je parle ici de ce que représente le génocide dans la psyché humaine, le crime le plus atroce qui soit, celui dont ses ennemis, enclenchant l’accusation et se moquant des gardes-fous de sa définition juridique, tambourinent Israël pour lui imposer une opprobre morale aussi injustifiée qu’insupportable. Accuser les soldats Israéliens de ce que les soldats nazis ont fait à Dubno et ailleurs dévoile le monde de mensonges où vivent Aymeric Caron et consorts.
La seconde, c’est la pérennisation d’une vision du monde manichéenne comme celle que les nazis ont instituée en Allemagne, à rapprocher, de façon probablement encore plus caricaturale, de celle avec laquelle les habitants de Gaza ont été biberonnés par le Hamas. Il ne faut même pas chercher des exemples si extrêmes: l’endoctrinement idéologique inculqué par des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche compétents dans la manipulation mentale ne disparait pas dans un débat démocratique: quand on ne veut pas savoir, on ne sait pas car la vérité qui démantèlerait les certitudes du passé serait trop difficile à supporter. Cela a longtemps été le cas pour la population allemande. Hermann Graebe en a fait les frais. Cela risque d’être plus longtemps encore, parce que la religion s’en mêle, le cas de la population de Gaza.
La troisième considération est redoutable: nous-mêmes, défenseurs d’Israël, ne sommes-nous pas pris dans des ornières qui nous empêchent de voir la réalité?
Je pense qu’il y a des drames de la faim à Gaza mais je ne crois pas du tout à une famine orchestrée. Parce que j’ai une confiance absolue dans la moralité de l’immense majorité des soldats de Tsahal et de leur direction, élevés dans une société du débat où de telles intentions ne pourraient pas être acceptées. Parce que j’ai une méfiance tout aussi absolue dans les témoignages de personnes qui ont un lien de dépendance, directe ou indirecte avec le Hamas, et cela inclut malheureusement les journalistes soi-disant indépendants et les membres d’institutions internationales qui ont fait leur choix il y a longtemps, d’être les faire-valoir d’une idéologie totalitaire et fanatique. Parce que les famines épouvantables du Soudan et du Yemen ne génèrent aucun intérêt international. Parce que les difficultés alimentaires ont été aggravées par la tactique du Hamas qui en a fait une arme de combat médiatique et de domination économique . Parce qu’il s’agit d’une guerre, que cette guerre a été déclenchée par le Hamas et parce qu’elle pourrait être arrêtée instantanément s’il libérait ses otages. Parce que, enfin, contrairement à la Shoah où le négationnisme international a commencé 25 ans après le dévoilement des crimes, le négationnisme de la responsabilité du Hamas a commencé le 8 octobre 2023, le jour qui a suivi le crime génocidaire et qu’il repose sur une ahurissante inversion victimaire.
Herman Graebe a été un Juste à l’époque nazie. Je suis sûr qu’il y a eu, et j’espère qu’il y a encore des Justes à Gaza. Seule une victoire israélienne leur permettrait de témoigner…
Dr. Richard PRASQUIER