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L’élection de Zohran Mamdani

Il y a treize mois, lorsque Donald Trump remportait la victoire, Zohran Mamdani était un inconnu. A l’Assemblée de l’Etat de New York. Il représentait la 36e circonscription, le quartier Astoria de Queens de l’autre côté de l’East River, vieux quartier ouvrier gréco-italien aujourd’hui boboïsé et devenu un laboratoire du progressisme avec une population du sous continent indien et du Moyen Orient. Pas de Juifs, ils sont ailleurs à Queens ou plus loin à Brooklyn. Parmi eux les quatre cent mille hassidim, dont les Habad, les Bobov , les Belz et surtout les Satmar très antisionistes avec une fraction desquels Mamdani s’est fait photographier.

Auparavant conseiller en prévention de saisies immobilières, et donc proche des familles à faibles revenus, Zohran Mamdani est membre du  DSA, un mouvement socialiste à l’intérieur du parti démocrate, où  il a le vent en poupe depuis la campagne présidentielle de Bernie Sanders en 2016. Le DSA a deux chevaux de bataille. Le premier est la justice sociale. Le second est la haine d’Israel. Sa figure de proue, Alexandra  Occasio Cortez, la célèbre AOC, a été considérée comme insuffisamment antisioniste et n’est plus membre du mouvement.

A New York, c’est le logement qui est  au centre des préoccupations populaires. L’impôt foncier finance  les écoles, la police, les pompiers et la voirie; de ce fait, les abattements fiscaux que l’Etat a consentis dans les années 70 pour relancer une construction alors atone ont manqué aux ressources à distribuer, ce qui a détérioré la qualité des services. Aujourd’hui, autre difficulté, alors que la population de New York a recommencé d’augmenter, notamment par l’immigration, la rareté des terrains disponibles entraine une pénurie et  une hausse considérable des prix .

En outre, dans cette ville où beaucoup de loyers sont régulés, leur contrôle voire leur gel a été pour plusieurs maires une tentation séduisante, mais les propriétaires particuliers revendaient leurs immeubles devenus  peu profitables à des compagnies qui les rentabilisaient en immobilier de luxe. Le résultat fut une gentrification de la ville avec une crise des services publics qui affecte  les plus démunis. Là est le noyau de la campagne de Mamdani et la clé de son succès.

Il s’est révélé un candidat charismatique, suivi par des  milliers de partisans enthousiastes qui ont diffusé de porte à porte la bonne parole: ayant commencé sans la moindre chance de succès, il est un an plus tard  le maire  socialiste de la ville qui symbolise le capitalisme.

Mais il est aussi le maire anti israélien de la plus grande ville juive du monde; 15% de Juifs sur  quatre millions d’électeurs inscrits.

Mamdani l’a dit à plusieurs reprises, la cause palestinienne est centrale à son identité. Dès 2014, il avait fondé dans son collège une antenne du mouvement Students for Justice in Palestine, réclamé le boycott des universités israéliennes et fait la promotion du mouvement BDS. 

Son père est un célèbre anthropologue ougandais d’origine indienne, chiite ismaélien comme une partie de l’élite  indienne émigrée vers l’Afrique de l’Est sous l’empire britannique, il a été jusqu’à sa retraite professeur à Columbia, spécialiste du néocolonialisme dans la lignée de Frantz Fanon. Pour Mahmoud Mamdani, les violences des colonisés ne font que reproduire celles du colonisateur et pour Gaza, un sujet sur lequel il a aussi écrit,  il estime que c’est Israël qui est à blâmer pour les violences du Hamas. CQFD…

Mamdani prétend que c’est Nelson Mandela, admiré pendant son enfance alors que son père enseignait à Capetown, qu’il a compris ce qu’était la lutte contre l’impérialisme et la place des Palestiniens dans ce combat. Mais c’est  probablement surtout chez son père et Edward Said, l’ami de celui-ci à Columbia, qu’il s’est forgé sa vision du monde. Quant à sa mère, une cinéaste célèbre d’origine indienne mais non musulmane, elle a des liens au moins culturels avec le Qatar….

Le 8 octobre 2023, le jour qui suit le massacre, Mamdani, qui n’a pas encore entamé sa campagne électorale, écrit un tweet révélateur où il «pleure les centaines de personnes tuées en Israël et en Palestine». Déploration universelle, aucune critique du Hamas. Nous savons quoi penser de ces discours englobants et faussement empathiques. 

Le lendemain 9 octobre Mamdani prend la parole; c’est à Times Square, au cours d’une manifestation promue sinon organisée par le DSA, son mouvement, manifestation ignoble où on a beaucoup plaisanté sur le massacre des Israéliens. Mamdani reste dans des généralités ambiguës sur la nécessité de continuer la lutte…

Plus tard pendant sa campagne, il s’est dépeint en pacifiste opposé à toutes les violences, y compris celles du Hamas, et a déclaré du bout des lèvres et sous condition  qu’il acceptait l’existence d’Israel.  Mais il suffit d’écouter le rabbin Amiel Hirsch de New York qui, plein d’espoir, l’avait approché  avec  ses collègues libéraux pour créer des ponts avec lui  et qui a constaté  que  la vérité de l’homme est malheureusement  dans un rejet existentiel d’Israel, celui que résument les deux phrases  «de la rivière à la mer» et «globaliser l’intifada». Tel est le si sympathique Zohran Mamdani. 

Chez des électeurs en précarité économique, étranglés par le prix des loyers, furieux contre le coût des transports et de l’alimentation, en colère contre les insuffisances de l’école et des services de santé et ressentant par ailleurs des discriminations du fait de leur origine ethnique, le succès de la candidature de Mamdani est logique: un homme jeune, compétent et empathique leur proposant des solutions faciles à comprendre qui vont changer leur vie. Les positions de Mamdani par rapport au conflit israélo-palestinien ne sont évidemment pas leur souci essentiel. Il est à remarquer néanmoins que du fait de l’efficacité du battage médiatique propalestinistien, la notion de convergence des luttes leur devient de plus en plus naturelle. Une des grandes victoires du nouveau maire de New York est malheureusement d’avoir contribué à renforcer ce lien aux yeux du public. Ceux qui craignaient que son hostilité à Israël ne nuise à sa campagne  n’ont peut-être même pas eu besoin de s’inquiéter….

Pour les personnalités politiques de New York qui n’avaient jamais caché leur judaisme et leur soutien à Israël (Chuck Schumer, Jerry Nadler, le contrôleur de la ville Brad Lander entre autres), ils se sont sentis obligés de composer et, avec des intensités diverses et des critiques plus ou moins virulentes, plutôt moins que plus, ils ont «endossé» la candidature de Zohran Mamdani. Ils témoignent de l’affaiblissement de l’aile classique et modérée du camp démocrate dont, suivant un processus bien connu en politique, les coups de boutoir de l’administration Trump risquent d’accélérer la progressive marginalisation. Il n’est que de constater les critiques qui ont été émises envers Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat des Etats Unis, jugé responsable par sa faiblesse de la défection de huit sénateurs qui a permis un accord de sortie mettant fin à la fermeture partielle du gouvernement fédéral, la plus longue de l’histoire américaine… L’anti trumpisme radical s’accorde tellement bien avec l’antisionisme radical…

La victoire de Mamdani est une lourde défaite pour le judaisme new yorkais. Un tiers des électeurs juifs ont pourtant voté pour lui. Parmi eux, il y a les compagnons de route du pire, Jewish Voice for Peace et ses émules, quelques membres des Satmar (une partie de la branche dite aronienne..), et ceux, nombreux,  qui ont toujours voté pour le candidat démocrate quel qu’il fût et qui auraient estimé que voter contre lui aurait été une trahison de leurs traditions familiales. Il y a ceux qui ne pouvaient pas voter pour Cuomo, bien qu’il eût été  un des meilleurs gouverneurs de l’époque du Covid, parce qu’il est catalogué comme harceleur sexuel, quoique il n’ait jamais été condamné et que le détail des accusations contre lui, aux yeux d’un observateur européen un peu (trop??) indulgent à l’égard du «beaufisme» culturel de la génération passée, soit d’une remarquable insignifiance. Il y a aussi ceux qui privilégient la défense des opprimés à la survie d’un Israël dont ils n’aiment pas le gouvernement…..

Il y a enfin le plus inquiétant, les jeunes Juifs qui ont voté en majorité pour Mamdani par illusion humaniste. C’est là que réside l’avenir du judaisme américain et de sa relation avec Israël. C’est là qu’il lui est urgent de se reprendre. C’est là que, par contraste, le judaisme français se trouve probablement en meilleure posture….

Je n’ai pas compétence à savoir si les solutions économiques de Mamdani pourront s’appliquer et si elles seraient efficaces. Beaucoup considèrent qu’elles entraîneront un marasme économique avec une fuite des élites en dehors de la cité. D’aucuns pensent même que des pays comme le Qatar seraient heureux de prendre les places laissées vides. Il en est qui estiment au contraire que Mamdani saura intelligemment négocier avec les autres décideurs tels la gouverneure de l’Etat de New York, dont l’accord lui est indispensable pour la plus grande partie des réformes qu’il propose. Quant au bras de fer qui se prépare avec l’administration Trump certains pensent qu’il lui sera fatal. D’autres espèrent ou redoutent qu’il ne le légitime encore plus aux yeux de l’opposition au Président américain.

Il est sûr que la campagne de renouvellement pour le poste de gouverneur de l’Etat de New York sera agitée et la très active Elise Stefania, une alliée de Donald Trump  qui s’est rendue célèbre au Congrès américain par ses question incisives  aux présidentes  de prestigieuses universités américaines au sujet de l’antisémitisme sur les campus, espère devenir contre Kathy Hochul, l’actuelle gouverneure, la première républicaine à ce poste depuis plus d’une génération.

A lui seul Mamdani ne peut pas prendre de décisions qui nuisent politiquement à Israël. Il ne peut pas par exemple, quoi qu’il prétende, faire arrêter Netanyahu si celui-ci vient à passer à New York: c’est là un privilège fédéral. 

Il est par ailleurs  trop intelligent pour laisser filer sans réagir un antisémitisme d’origine propalestinienne trop voyant. Quelles que soient ses pensées à ce sujet, il n’a jamais été mis en situation flagrante d’expressions antisémites et il veillera à son image consensuelle parce qu’elle sert ses objectifs antisionistes.

Mais il fera tout pour nuire à Israël sur le plan idéologique, culturel et si possible commercial. Il ne manque ni de créativité , ni de détermination et ses soutiens populaires, intellectuels et artistiques sont nombreux. Les amis d’Israel à New York et au-delà  ne pourront pas rester passifs devant le narratif antisioniste et génocidaire qu’il cherchera à banaliser. Mamdani peut jouer un rôle majeur dans le regard de la prochaine génération américaine envers Israël et chacun comprend comme ce regard est important…

Dr. Richard PRASQUIER

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