
Des différentes motivations pour critiquer Israël
Les développements de la situation à Gaza n’extirperont malheureusement pas les injonctions morales à critiquer Israël.
Certains Juifs, très attachés au sionisme, l’ont fait spontanément en pensant que les accusations étaient suffisamment crédibles pour tirer une sonnette d’alarme. Je pense qu’ils ont été trompés par une information grandement mensongère, d’autant plus perverse qu’elle provient d’institutions supposément respectables. C’est le cas de l’ONU, dont les instances sont élues par des Etats dont 80% sont des autocraties, et où bien des démocraties résiduelles ont désarmé leur esprit critique, préoccupées qu’elles sont par le maintien de leur influence internationale ou aveuglées par des a priori émotionnels qui assimilent faiblesse et vertu.
Bien des Juifs ont par ailleurs transféré sur Israël leur colère contre le gouvernement qui dirige le pays. Cela pose deux problèmes. Le premier est qu’on critique un Etat démocratique qui lutte pour sa survie et dans lequel on a a priori décidé de ne pas habiter. Le second est qu’une telle prise de position sera exploitée par la propagande des pires ennemis de cet Etat.
Pour d’autres, notamment dans le monde anglo-saxon, leur judaïsme avait déjà dérivé vers un cosmopolitisme humanitariste et naïf, auquel le mouvement woke a délivré un label de kacherout qui devrait servir de repoussoir.
Il y a enfin ceux qui, par engagement politique ou religieux, sectateurs du trotskisme ou du Satmar, qui ont fait de la haine d’Israel un axe de leur comportement. Avec ceux qui ont apprécié le 7 octobre comme une punition infligée aux forces du mal, aucun accommodement n’est possible.
Alors que l’immense majorité des Juifs ont éprouvé le 7 octobre un sentiment de césure existentielle et ont vu resurgir les images d’un passé maudit, beaucoup de leurs voisins ont considéré cette journée comme un épisode parmi d’autres d’une litanie interminable de violences interethniques.
Leur indifférence a été traumatisante, car elle nous en a rappelé d’autres… Mais s’agit-il seulement d’indifférence?
En octobre 2003 un sondage avait demandé aux citoyens de 15 Etats européens quels pays étaient dangereux pour la paix dans le monde. C’est Israël qui remporta cette douteuse victoire, dépassant l’Iran, la Corée du Nord et les Etats Unis, qui sortaient alors d’une guerre en Irak.
Or ce sondage survenait quelques jours après un attentat horrible qui avait, dans le restaurant Maxim de Haifa, provoqué 21 morts et plus d’une soixantaine de blessés, attentat dont chacun avait vu les images.
Octobre 2003, octobre 2023, l’indifférence apparente aux victimes traduit elle la permanence d’un indécrottable antisémitisme? L’explication me parait plus complexe.
Plusieurs études ont montré que les attentats terroristes de masse entrainent immédiatement un élan de sympathie pour les victimes, mais génèrent la mise à distance dans un deuxième temps, car des représailles pourraient déclencher une réaction en chaine qui mettrait en danger la sécurité de spectateurs qui, à tort ou à raison, ne se sentent pas eux-mêmes concernés par ces événements. Envers Israël, la période d’empathie fut particulièrement courte.
Pourquoi? Il y a bien sûr l’incrustation du narratif victimaire palestinien, qui a parfois entrainé des réactions de haine du genre «Après tout, ils l’ont bien mérité!».
Mais il y a aussi autre chose… La compassion pour les persécutions dont les Juifs furent victimes dans l’histoire, l’adhésion à l’égalité de leurs droits sont aujourd’hui courantes dans nos sociétés. Mais, si la légalité de l’Etat d’Israel est admise’, son absolue légitimité ne l’est pas totalement, à preuve l’insinuation maladroite mais significative du Président Macron que l’existence d’Israel provient d’un accord de l’ONU, sous entendant apparemment que ce qu’une Assemblée a fait, une autre pourrait le défaire et négligeant le fait que l’existence de cet Etat, comme celle de bien d’autres dans l’histoire, dépend surtout de sa capacité à se défendre.
Or, ce recours aux armes percute un imaginaire chrétien immémorial, dans lequel la soif de vengeance est un ressort prétendument essentiel du comportement des Juifs. Les imprécations contre les meurtres rituels ou les accusations de complot mondial se sont transmuées, de façon le plus souvent inconsciente, en imbéciles dénonciations de génocide.
Dans le sondage de 2003, un pays européen surpassait les autres par sa perception négative d’Israël et il est depuis resté très hostile. Ce pays, ce sont les Pays Bas, qui représentaient les intérêts d’Israel lorsque ses relations étaient rompues avec le bloc communiste.
Depuis la terre de liberté pour les Juifs victimes de l’Inquisition jusqu’à l’appellation de «club juif» attribuée à l’Ajax d’Amsterdam, en passant par l’aide à la famille d’Anne Franck, l’image des Pays Bas est positive dans la mémoire juive et le grand nombre de Justes néerlandais a fait oublier que les trois quarts de la communauté juive y ont été exterminés.
J’ai l’impression que les principaux vecteurs de cette hostilité à l’égard d’Israel ne sont pas, comme chez les voisins belges et français, la présence d’une importante communauté musulmane et l’existence de partis désireux d’en faire une clientèle électorale. Ils me semblent plutôt liés au pacifisme et à un passé colonial dont certains, suivant un schéma bien huilé, attribuent la responsabilité au capitalisme américain et ses alliés où Israël figure évidemment en première ligne.
Mais pèse aussi aux Pays Bas le poids moral des organisations religieuses et humanitaires, qui sont sensibles à la dichotomie entre les forts et les faibles et vertueusement aveugles et sourdes aux appels au massacre de l’Islam radical. Lors du procès des atterrantes violences survenues il y a un an contre les supporters du Maccabi Tel Aviv, certains juges ont refusé de parler d’antisémitisme.
Les prochaines élections législatives néerlandaises seront scrutées avec attention bien au-delà du pays…
Dr. Richard PRASQUIER
